Le Chant de l'épée
de sang.
La pointe de sa lance était rougie.
— Tu as tué quelqu’un ? lui
demandai-je.
— Oui, seigneur, dit-il en me regardant
avec de grands yeux.
— C’est bien. Lequel ?
— Ce n’était pas ici, fit-il d’un air
perplexe avant de se retourner vers l’escalier. C’était là-bas, seigneur.
— Sur les marches ?
— Oui.
— Dis-moi, repris-je en le fixant assez
longuement pour le mettre mal à l’aise, t’a-t-il menacé ?
— C’était un ennemi, seigneur.
— Qu’a-t-il fait ? Il a agité sa
béquille vers toi ?
— Il… (Il n’acheva pas. Il fixa l’homme
que je venais de tuer, puis il fronça les sourcils.) Seigneur ?
— Oui ?
— Tu nous as dit que c’était la mort de
quitter le mur de boucliers.
— Et… ? interrogeai-je en me
baissant pour essuyer ma lame sur une cape.
— Tu as quitté le mur, seigneur, me
reprocha-t-il presque.
Je me relevai et touchai mes bracelets :
— On vit en obéissant aux règles. On se
fait une réputation, mon garçon, en les enfreignant. Mais on ne s’en fait pas
une en tuant un infirme.
Je crachai ces derniers mots puis me retournai.
Les hommes de Sigefrid avaient traversé la Fleot, mais ils s’étaient rendu
compte qu’il se passait quelque chose et s’étaient retournés pour observer la
porte.
Pyrlig apparut à mon côté.
— Débarrassons-nous de cette loque, dit-il
en désignant la bannière accrochée au rempart, qui portait l’insigne du corbeau
de Sigefrid. Nous allons leur signifier que la ville a un nouveau maître.
Il souleva sa cotte de mailles et découvrit
une bannière qu’il avait pliée et fourrée dans sa ceinture. Elle représentait
une croix noire sur fond blanc.
— Dieu soit loué, dit-il en la fixant sur
le mur.
Maintenant, Sigefrid allait savoir qu’il avait
perdu la porte de Ludd. La bannière chrétienne flottait devant lui.
Pourtant, rien ne bougea. Sans doute les
hommes de Sigefrid avaient-ils peine à se remettre de leur surprise. Ils n’avançaient
plus vers la nouvelle ville saxonne et continuaient de contempler la porte et
notre bannière, pendant qu’à l’intérieur de l’enceinte des groupes d’hommes se
rassemblaient et levaient les yeux vers nous.
Du côté de la ville nouvelle, je ne vis pas le
moindre signe des hommes d’Æthelred. Une palissade de bois délabrée et
effondrée par endroits couronnait l’éminence où la ville saxonne se dressait, il
était possible qu’ils soient derrière.
— Si Æthelred ne vient pas…, dit Pyrlig à
mi-voix.
— Nous sommes morts, achevai-je.
À main gauche, le fleuve gris comme misère
coulait vers le pont brisé, ponctué de mouettes blanches. Au loin, sur la rive
sud, de la fumée s’élevait de quelques masures : le Wessex. Devant moi, là
où attendaient, immobiles, les hommes de Sigefrid, c’était la Mercie. Et
derrière moi, au nord du fleuve, s’étendait l’Estanglie.
— Fermons-nous la porte ? demanda
Pyrlig.
— Non, j’ai dit à Steapa de la laisser
ouverte.
— Vraiment ?
— Nous voulons que Sigefrid revienne nous
attaquer.
Mais si Æthelred avait renoncé à donner son
assaut, nous trouverions la mort à cette porte où se rejoignaient les trois
royaumes. Je ne voyais pas l’armée d’Æthelred, mais je fondais mes espoirs de
victoire sur les hommes de mon cousin. Je pouvais attirer Sigefrid à la porte
et l’y retenir, puis Æthelred le prendrait par le revers. Voilà pourquoi je
devais laisser la porte ouverte. Si je l’avais close, il aurait pu utiliser une
autre entrée et ses hommes n’auraient pas exposé le flanc à l’armée d’Æthelred.
Or le danger le plus immédiat, c’était que les
Danes restés dans la ville se remettaient enfin de leur surprise. Certains
étaient dans les rues, tandis que d’autres se rassemblaient sur les murailles
de part et d’autre de la porte de Ludd. Comme ils étaient plus bas que le
bastion, si nous attaquions, ce serait sur les étroites marches qui le
reliaient. Il faudrait cinq hommes pour tenir une marche, tout comme les
escaliers jumeaux qui montaient de la rue. Je songeai à abandonner le sommet du
bastion, mais si le combat tournait mal devant la porte, ce haut rempart était
notre meilleur refuge.
— Tu auras vingt hommes, dis-je à Pyrlig,
pour tenir ce bastion. Tu peux aussi prendre celui-là, ajoutai-je en désignant
Osferth.
Je ne voulais pas que ce tueur d’infirmes soit
au cœur du combat le plus dur
Weitere Kostenlose Bücher