Le Chant de l'épée
pourras
les rejoindre !
Il m’avait appelé « seigneur », car
c’est ce qu’il voyait : un seigneur guerrier. Seuls une poignée d’hommes
pouvaient aller en guerre comme moi. C’étaient des chefs, comtes, rois, seigneurs.
Ceux qui avaient assez tué pour amasser la fortune nécessaire afin d’acheter
maille, casque et armes. Et pas les moindres. Ma cotte était de façon franque
et coûtait plus qu’un vaisseau de guerre. Sihtric l’avait polie au sable pour
qu’elle brille comme argent. Elle descendait aux genoux, ornée en bas de
trente-huit marteaux de Thor en os, ivoire ou argent, qui tous avaient été au
cou de braves ennemis que j’avais tués au combat. Et je les portais pour que, le
jour où je rejoindrais le banquet des morts, ils puissent tous me reconnaître, m’accueillir
et boire l’ale avec moi.
Je portais une cape de laine noire que Gisela
avait brodée d’un éclair blanc allant de mon cou aux talons. Elle pouvait être
encombrante au combat, mais je la portais, car moi qui suis plus grand et plus
large que beaucoup, je le paraissais plus encore. Seule l’amulette de Thor que
j’avais au cou était une pauvre chose en fer qui rouillait constamment, déformée
et usée par le temps. Mais je l’avais conquise avec les poings dans mon enfance
et je l’adorais. Je la porte encore aujourd’hui.
Mon casque glorieux, poli à éblouir, était
incrusté d’argent et orné d’une tête de loup. Les plaques étaient décorées de
spirales d’argent. À lui seul, il signifiait à l’ennemi que j’étais d’importance.
Celui qui me tuerait et le prendrait serait riche, mais mes ennemis auraient
préféré me prendre les bracelets que, comme les Danes, je portais par-dessus
les manches de ma maille. Ils étaient d’or et d’argent, et si nombreux que j’en
avais au-dessus des coudes. Ils disaient la richesse amassée et tous les hommes
que j’avaient tués. Mes bottes étaient de cuir épais renforcé de plaques d’acier
pour dévier la lance qui frappe sous le bouclier. Celui-ci, bordé de fer, portait
une tête de loup, mon insigne, et j’avais aux côtés Souffle-de-Serpent et
Dard-de-Guêpe. Et c’est ainsi que je marchai vers la porte avec dans le dos le
soleil levant qui projetait une longue ombre dans la rue jonchée d’ordures.
J’étais un seigneur de guerre dans sa gloire, venu
pour tuer, et personne à la porte ne le savait.
Ils nous virent arriver, mais nous prirent pour
des Danes. La plupart étaient sur le rempart, mais cinq étaient devant la porte
et tous regardaient la troupe de Sigefrid descendre vers la Fleot. Le village
saxon n’était pas loin et j’espérais qu’Æthelred s’y trouvait encore.
— Steapa, dis-je, prends tes hommes et
tue ces étrons à la porte.
— Tu veux que je la referme ? questionna-t-il
en souriant.
— Laisse-la ouverte.
Je voulais attirer Sigefrid pour que ses
hommes endurcis ne s’attaquent pas à la fyrd d’Æthelred. Si la porte restait
ouverte, il serait plus enclin à nous attaquer.
Elle était bâtie entre deux énormes bastions
de pierre, chacun muni de son escalier. Je me souvins de la description du
paradis chrétien que m’avait faite, enfant, le père Beocca. Ce seraient des
escaliers de cristal menant à un trône d’or drapé de blanc où siégeait son dieu.
Des anges l’entouraient, chacun plus resplendissant que le soleil, et les
saints, des chrétiens défunts, chantaient, réunis sur les marches. J’avais
trouvé cela fort ennuyeux à l’époque et je le pense encore.
— Dans l’autre monde, dis-je à Pyrlig, nous
serons tous des dieux.
— Nous serons avec Dieu, me corrigea-t-il
en se demandant d’où je sortais cela.
— Dans ton paradis, peut-être, mais pas
dans le mien.
— Il n’y a qu’un seul paradis, seigneur
Uhtred.
— Alors, que ce soit le mien, dis-je.
En cet instant, je savais que je détenais la
vérité. Pyrlig, Alfred et tous les chrétiens se trompaient. Nous n’allions pas
vers la lumière, nous la quittions. Nous allions vers le chaos. Nous allions
vers la mort et le paradis de la mort, et je me mis à crier, alors que nous
approchions de l’ennemi :
— Un paradis pour les hommes et les
guerriers ! Un paradis où resplendissent les épées ! Un paradis pour
les braves, la sauvagerie et la mort !
Tous me regardèrent, amis comme ennemis. Ils
me prirent pour un fou et peut-être l’étais-je alors que je gravissais l’escalier
et culbutais
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