Le Chant de l'épée
réponse prête, si bien que
lorsqu’il s’ébranle pour vous tuer c’est la mort qu’il rencontre.
Et en cet instant, dans la pénombre humide de
la rue de Lundene, je compris ce que faisait Sigefrid et aussi que, sans le
savoir, il était en train de m’offrir la porte de Ludd.
La cour appartenait à un négociant de pierres.
Ses carrières étaient les bâtiments romains de Lundene, et des fragments de maçonnerie
s’entassaient contre les murs en attendant d’être expédiés en Franquie. D’autres
se trouvaient contre la porte qui menait aux quais par le rempart du fleuve. Sigefrid,
pensai-je, devait redouter un assaut depuis le fleuve et avait barré toutes les
portes des murs à l’ouest du pont, mais il n’avait jamais imaginé que quelqu’un
puisse franchir le pont pour parvenir à l’est au rempart dégarni. Mais nous
avions réussi et mes hommes étaient dissimulés dans la cour pendant que, de l’entrée,
j’observais les forces ennemies à la porte de Ludd.
— Nous nous cachons ? demanda
Osferth de sa voix geignarde.
— Il y a des centaines d’hommes entre
nous et la porte, expliquai-je patiemment. Et nous sommes trop peu pour les
défaire.
— Nous avons échoué, s’indigna-t-il.
J’eus envie de le frapper, mais je me retins.
— Dis-lui ce qui se passe, dis-je à
Pyrlig.
— Dans sa sagesse, expliqua le prêtre, Dieu
a convaincu Sigefrid de tenter une sortie ! Ils vont ouvrir cette porte, mon
garçon, et déferler dans les marais pour tenter d’atteindre les hommes du
seigneur Æthelred. Et comme la plupart des hommes d’Æthelred sont de la fyrd et
ceux de Sigefrid de véritables guerriers, nous savons tous ce qui va advenir !
Grâce à toi, seigneur ! conclut-il en touchant sa croix sous sa chemise.
— Tu veux dire, répondit Osferth, que les
hommes du seigneur Æthelred vont être massacrés ?
— Certains vont mourir, concéda
joyeusement Pyrlig, et j’espère qu’ils périront dans la grâce, mon garçon, sans
quoi ils n’entendront jamais le chœur des anges, n’est-ce pas ?
— Je déteste les chœurs, grondai-je.
— Mais non, dit Pyrlig. Vois-tu, mon
garçon, continua-t-il pour Osferth, une fois qu’ils auront franchi cette porte,
il ne restera plus qu’une poignée pour la garder. Et c’est là que nous
attaquerons. Et Sigefrid, qui se retrouvera pris entre deux ennemis, regrettera
de n’être point resté dans son lit !
— Mais si nous prenons la porte, s’inquiéta
Osferth, les hommes restés dans la cité nous attaqueront.
— Certes, répondis-je.
— Et Sigefrid…
–… reviendra probablement s’en prendre à nous,
achevai-je pour lui.
— Alors ? demanda-t-il.
— Tout dépend de mon cousin. S’il vient à
notre aide, nous serons victorieux. Sinon ? Tiens bien ton épée.
Un grondement s’éleva à la porte de Ludd et je
compris qu’elle avait été ouverte et que les hommes déferlaient sur la route
menant à la Fleot. Æthelred, s’il était toujours prêt à donner son assaut, les
verrait arriver et devrait prendre une décision : tenir et combattre dans
la nouvelle ville saxonne ou s’enfuir. J’espérai qu’il tiendrait. Je ne l’aimais
pas, mais je ne l’avais jamais vu manquer de courage. Je le savais si stupide
qu’il serait sans doute ravi de combattre.
Il fallut longtemps aux hommes de Sigefrid
pour franchir la porte. Je les observai depuis l’entrée de la cour : ils
devaient être quatre cents. Æthelred avait plus de trois cents bons soldats, pour
la plupart de la garde d’Alfred, mais le reste étaient de la fyrd et ne
tiendraient jamais devant un assaut aussi sauvage que puissant. L’avantage
appartenait à Sigefrid, dont les hommes étaient reposés et nourris, alors que
ceux d’Æthelred avaient marché dans la nuit glacée.
— Plus vite nous agirons, mieux ce sera, décidai-je.
— Maintenant ? proposa Pyrlig.
— Marchons au pas jusqu’à la porte !
ordonnai-je à mes hommes. Ne courez point ! Faites comme si vous étiez d’ici !
Et c’est ainsi qu’après une promenade dans une
rue de Lundene, un âpre combat commença.
Il ne restait pas
plus de trente hommes à la porte de Ludd, certains en sentinelle, mais la
plupart juchés sur les remparts pour regarder marcher Sigefrid. Un grand
gaillard à qui il manquait une jambe, et qui montait sur des béquilles l’escalier
y menant, s’arrêta à mi-chemin et me héla.
— Si tu te hâtes, seigneur, tu
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