Le Chant de l'épée
voulait m’accueillir en plein air afin que tous
soient témoins de mon humiliation.
— Tu geins comme chiot, me dit-il.
— Et il souhaite que tu aies bien du plaisir
en la compagnie de la dame Æthelflæd, continuai-je.
Il resta perplexe. Il avait grossi, car, si la
blessure infligée par Osferth lui avait ôté l’usage de ses jambes, elle ne l’avait
point privé de son appétit et j’avais devant moi un infirme grossier et avachi
qui me fixait avec indignation.
— Du plaisir, chiot ? Que me
jappes-tu là ?
— Le roi de Wessex, proclamai-je pour que
tous entendent, a d’autres filles ! La charmante Æthelgifu, et sa sœur, Æfthryth ;
quel besoin a-t-il donc d’Æthelflæd ? Et à quoi servent les filles, d’ailleurs ?
Il est roi et a des fils, Edward et Æthelweard, et les fils sont la gloire d’un
homme, alors que les filles ne sont que fardeau. Aussi te souhaite-t-il du
plaisir et m’a-t-il envoyé pour lui faire ses adieux.
— Le chiot tente de nous amuser, dit
Sigefrid, d’un ton plein de mépris.
Il ne me croyait pas mais j’espérais avoir
semé un peu de doute, assez pour justifier la faible rançon que j’allais offrir.
Je savais, tout comme Sigefrid, que le prix final serait énorme, mais peut-être,
si je le répétais assez, pourrais-je le convaincre qu’Alfred ne tenait point
tant à Æthelflæd.
— Peut-être devrais-je la prendre pour
maîtresse ? dit-il.
Je remarquai que son frère parut mal à l’aise.
— Elle en serait bien fortunée, répondis-je,
désinvolte.
— Tu mens, chiot, répondit-il, doutant
tout de même un peu. Mais la catin saxonne est grosse d’enfant. Peut-être que
son père achètera son enfant ?
— Si c’est un garçon, peut-être, dis-je, dubitatif.
— Alors tu dois me faire une offre.
— Alfred paiera peut-être une petite
somme pour un enfant, commençai-je.
— Pas à moi, coupa Sigefrid. Tu dois
convaincre Weland de ta bonne foi.
— Weland ? répétai-je, pensant qu’il
parlait du forgeron des dieux.
— Weland le Géant, sourit Sigefrid en
désignant du menton quelqu’un derrière moi. C’est un Dane, et personne ne l’a
jamais vaincu.
Je me retournai et me trouvai devant un
colosse comme jamais je n’en avais rencontré. Un guerrier, sans doute, bien qu’il
ne fût pas armé. Il ne portait que des chausses de cuir et des bottes, et sa
poitrine nue n’était qu’un nœud de muscles. Sur sa peau étaient tatoués des
dragons à l’encre noire et ses bras portaient des bracelets énormes. Sa barbe, aussi
noire que les dragons, était tressée de petites amulettes ; il était
chauve, et son visage était celui d’une brute malveillante, mais il sourit
quand je croisai son regard.
— Tu dois persuader Weland que tu ne me
mens point, chiot, sans quoi je ne parlerai point avec toi.
Je m’attendais à quelque chose de cette sorte.
Dans l’esprit d’Alfred, nous serions allés à Beamfleot, aurions courtoisement
discuté pour parvenir à un compromis raisonnable avant de revenir vers lui, mais
je connaissais mieux que lui les Norses. Il leur fallait amusement. Si je
devais négocier, je devais montrer ma force avant. Mais, en regardant Weland, je
sus que j’échouerais. Il me dépassait d’une tête, moi qui dépasse aussi d’une
tête la plupart des hommes, mais c’est parce que je m’étais douté d’une telle
épreuve que j’avais emmené Steapa. Celui-ci arborait son sourire meurtrier. Il
n’avait rien compris de ce que Sigefrid et moi nous étions dit, mais il
comprenait ce que signifiait l’attitude de Weland.
— Il faut le battre ? me
demanda-t-il.
— Laisse-moi le faire.
— Pas tant que je vivrai, répondit-il.
Il déboucla sa ceinture et donna ses armes au
père Willibald, puis il me confia sa maille.
L’assistance, s’attendant à un rude combat, poussa
une clameur.
— Tu feras bien d’espérer que ton homme
gagne, chiot, me dit Sigefrid.
— Je n’en doute point, répondis-je avec
une assurance que je n’éprouvais pas.
— Au printemps, gronda Sigefrid, tu m’as
empêché de crucifier un prêtre. Je suis toujours aussi curieux, et si ton homme
perd, je clouerai cette fiente de prêtre qui se tient auprès de toi.
— Que dit-il ? demanda Willibald, qui
avait surpris le regard mauvais posé sur lui.
— Que vous ne devez pas user de votre
magie chrétienne, mentis-je.
— Je prierai tout de même, dit bravement
Willibald.
Weland tendit ses
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