Le Chant de l'épée
énormes bras et s’assouplit
les doigts. En le voyant prendre une pose de lutteur, je sentis que ce combat s’en
tiendrait aux règles.
— Il favorise sa jambe droite, chuchotai-je
à Steapa. Peut-être la gauche a-t-elle été blessée un jour.
J’aurais pu économiser ma salive, car Steapa
ne m’écoutait pas. Les yeux emplis de fureur, il serrait les dents et avait l’air
d’un enragé. Je me souvins du jour où nous avions combattu, la veille de Yule, lorsque
les Danes de Guthrum avaient fondu à l’improviste sur Cippanhamm. Steapa avait
été calme avant ce combat. Il m’avait paru comme un artisan prêt à vaquer à sa
tâche, confiant dans ses outils et ses compétences ; là, il était
différent, en proie à la fureur. Était-ce parce qu’il affrontait un païen ou
parce qu’il m’avait sous-estimé à Cippanhamm ? Je l’ignore, et peu
importait.
— N’oublie pas que Wayland le Forgeron
était boiteux, lui soufflai-je.
— Commencez ! s’écria Sigefrid.
— Dieu et Jésus, beugla Steapa. Par l’enfer
et le Christ !
Puis il poussa un hurlement bestial et s’élança.
Weland en fit autant ; ils étaient comme
cerfs à la saison du brame.
Danes et Norses attroupés en cercle derrière
les lances qui formaient une haie laissèrent échapper un cri devant ce
spectacle. Steapa avait baissé la tête en espérant fracasser le visage de
Weland d’un coup de crâne, mais celui-ci avait esquivé au dernier instant. Ils
se heurtèrent de plein fouet et s’empoignèrent d’une main tout en se criblant
de coups de poing de l’autre. Steapa tenta de le mordre, Weland lui donna un
coup de tête, Steapa chercha à lui empoigner l’entrejambe et Weland lui assena
un coup de genou entre les cuisses.
— Seigneur ! murmura Willibald.
Weland échappa à Steapa et lui donna en pleine
face un coup de poing qui résonna comme le tranchoir d’un boucher sur une pièce
de viande. Le sang gicla, mais Steapa n’y prêta aucune attention. Il riposta
par plusieurs coups de poing dans les côtes et au visage, puis il tenta de lui
enfoncer les doigts dans les yeux. Weland l’évita et lui donna un coup de poing
si violent dans la gorge que le Saxon recula en vacillant, le souffle coupé.
— Oh, mon Dieu ! se signa Willibald.
Sans perdre un instant, Weland abattit ses
bras chargés de bracelets sur le crâne de Steapa. Le sang jaillit de plus belle.
Steapa tomba à genoux et la foule se moqua de sa faiblesse, mais le Saxon se
jeta en avant, saisit la cheville de son adversaire et la tordit. Weland s’écroula
comme un chêne abattu. Steapa se jeta sur lui et le cribla de coups.
— Ils vont s’entretuer, s’inquiéta
Willibald.
— Sigefrid ne permettra pas que son
champion perde la vie, dis-je, sans en être sûr.
Je me tournai vers le Norse et vis qu’il me
regardait. Il m’adressa un sourire rusé. Il s’amusait. L’issue ne changerait
rien aux négociations, hormis que la vie du père Willibald en dépendait. Ce n’était
qu’un jeu.
Weland parvint à retourner Steapa. Après
quelques coups, ils s’écartèrent et se relevèrent en reprenant leur souffle, puis
ils se jetèrent de nouveau l’un sur l’autre. Steapa avait le visage en sang, Weland
saignait des lèvres et d’une oreille et avait un œil fermé. Il parvint à culbuter
Steapa au sol, puis il s’apprêta à lui assener un coup de pied à l’entrejambe.
Mais Steapa l’empoigna et le tordit. Weland
glapit de douleur. C’était un cri étrange venant d’un tel colosse et ce qu’il
venait de subir semblait bien peu en regard des coups qu’il avait déjà pris, mais
Steapa venait de se rappeler que Wayland le Forgeron avait été blessé à la
jambe par Nidung, et que son geste réveillait une ancienne blessure. Weland
voulut se dégager, mais il perdit l’équilibre et tomba tandis que Steapa, hors
d’haleine et crachant le sang, rampait vers lui et redoublait de coups, aveuglément.
Weland voulut lui enfoncer un doigt dans l’œil, mais Steapa le lui happa d’un
coup de dents et j’entendis le bruit du petit doigt écrasé. Weland recula, Steapa
cracha le morceau, empoigna le Dane à la gorge et serra de toutes ses forces. Weland,
suffoquant, se débattit comme une truite jetée sur le bord d’un torrent.
— Assez ! cria Erik.
Personne ne bougea. Weland avait les yeux
exorbités et Steapa, aveuglé par le sang, serrait toujours.
— Assez ! rugit Sigefrid.
Entendant Steapa gronder
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