Le Chant des sorcières tome 1
Tour-Sassenage, désires-tu entrer dans la chevalerie ? Si tu recherches la richesse ou les honneurs, sache que tu n'en es pas digne.
Enguerrand posa une main sur l'Évangile que lui tendit le père Vincent.
— Je ne veux rien de tout cela et jure, sur la très sainte Bible, d'en observer les commandements, de protéger l'Église et de combattre les infidèles avec acharnement. Je promets de défendre tous les faibles et le pays où je suis né, de remplir mes devoirs féodaux, à condition qu'ils ne soient pas contraires à la loi divine, de ne jamais mentir, d'être libéral, généreux et fidèle à ma parole. Enfin, de demeurer toujours le champion du droit et du bien contre l'injustice et le mal.
Jacques de Sassenage tapa dans ses mains. Trois pages s'avancèrent à leur tour, chargés l'un de la cotte de mailles, l'autre de la cuirasse, le troisième des brassards et des éperons dorés. Ils déposèrent la tenue aux pieds d'Enguerrand et l'aidèrent à s'habiller.
À quelques pas, près de Sidonie, Philippine ne perdait rien de la cérémonie, et son cœur, troublé par la prestance du jouvenceau, tressautait dans sa poitrine. Ainsi revêtu de sa tenue de chevalier, Enguerrand de La Tour-Sassenage avait la plus belle des allures dont une dame pouvait rêver.
Jacques de Sassenage récupéra la lame qu'il avait fait forger et dont le plommel figurait deux serpents entrelacés autour d'un visage de femme. Il la présenta à la bénédiction de l'abbé, puis la tendit au jouvenceau, dont l'œil s'était teinté de fierté.
— Que ce branc désormais soit tien et rende sa justice ainsi que tu le promets.
Enguerrand la prit par le pommeau, déposa un baiser à l'arestuel, sur les joues de Mélusine, et la mit au fourreau avant de s'agenouiller pour recevoir la colée.
Jacques de Sassenage dégaina son épée et du plat de la lame frappa le jouvenceau de deux coups sur la joue, puis d'un troisième sur l'épaule gauche.
— C'est le dernier que tu ne rendras pas. Au nom de Dieu, de saint Michel et de saint Georges, sous le regard de ta famille et de tes amis, je te déclare, toi, Enguerrand de La Tour-Sassenage, et en mon âme et conscience, promu au rang de chevalier.
Aux joutes et passes d'armes qui jusqu'au soir eurent lieu dans les lices, Enguerrand se distingua joliment et gagna l'estime de ses adversaires. S'il se fit le héros de sa mère dans la première épreuve, dans la deuxième, il accrocha à sa lance la manche que lui donna Philippine. Elle lui fut arrachée sans difficulté par Aymar de Grolée qui lui avait appris tout ce qu'il savait.
28
Comme presque tous les matins depuis qu'elle habitait au château de ses maîtres, Algonde allait retrouver Mathieu et partager avec lui les petits pains de sa première fournée. Ce 31 août, alors que le quotidien reprenait son cours à Sassenage, les derniers invités ayant quitté les lieux, elle sauta de son lit avec la même impatience qu'autrefois. Et plus encore. Elle était fiancée. Officiellement. Fourbus l'un et l'autre par leurs tâches respectives, ils n'avaient pas eu l'occasion d'échanger autre chose que quelques œillades. Le temps leur avait manqué. Quant à Philippine, trois jours durant, elle l'avait étourdie de ce petit rire haut perché qui sied à la noblesse lorsque le vin épicé monte légèrement à la tête. Au coucher, elle était débordante de gaieté, au matin, si migraineuse qu'elle râlait contre tout : le rayon de soleil sur sa joue, sa robe trop ajustée. Jusqu'à ce qu'invariablement Algonde ramasse quelques billets doux glissés à la faveur de la nuit sous sa porte. Nombreux étaient ceux qui, troublés par sa beauté, tentaient par quelque poème de lui faire leur cour :
« Sur mon âme blasée, une étoile à minuit s'est posée avec grâce. J'en garde à tout jamais la brûlure et la trace et mourrai s'il le faut pour un baiser de vous. » Philippine s'en étourdissait un moment, fronçait le sourcil pour accrocher un visage sur la signature, plissait le nez et la bouche avant de déclarer :
— La plume est plus belle que le galant. Tant pis.
Quand ce n'était pas l'inverse en vers de mirliton :
« Mon cœur se sent, ma tourterelle, tant charmé que j'en ai des ailes. Je vous respire dans votre entier, de votre sourire jusqu'à vos pieds, et ce parfum me fait revivre. Las, tout mon être de vous s'enivre ! »
— Qu'il cuve donc ! s'exclamait-elle dans un grand éclat de rire, avant
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