Le Chant des sorcières tome 1
aux initiales entremêlées des époux. Disposées en forme de fer à cheval, elles permettaient aux mariés qui siégeaient sous un dais à leurs armes, au centre, d'être visibles par tous, et aux divertissements de se succéder. Malgré la tonnelle en toile rayée qui gardait les invités à l'abri du soleil, brûlant en ce midi, l'argenterie étincelait au milieu des pétales de rose.
Tout autour, aussi loin que portait le regard, le petit peuple descendu des remparts s'installait peu à peu sur l'herbe, la transformant en un tapis de couleurs vives et disparates, le nez au vent qui charriait des odeurs alléchantes de pitance. Ils en auraient leur part. Le baron le leur avait promis. Trois jours durant. Ils étaient venus de toute la contrée pour en profiter.
Les époux prirent place, aussitôt imités par leurs proches de part et d'autre, puis par chacun selon son rang de noblesse. Le seul qui manquât véritablement au baron de Sassenage en cet instant était celui à qui il avait lui-même prêté tant de fois allégeance. Son cœur se pinça en songeant qu'il était en train de s'éteindre dans son château de Plessis-lès-Tours devant l'impuissance de ses médecins et celle de la sainte ampoule qu'il avait pourtant fait venir de Reims. Rassemblant ses dernières forces sans doute, Louis XI lui avait fait porter une lettre. S'il n'avait pas reconnu l'écriture, Jacques avait retrouvé le ton de celui dont il avait été le premier écuyer, puis le compagnon d'armes au cœur des batailles, avant d'en devenir le chambellan, jusqu'à ce qu'il décide de se retirer de la cour, trois ans plus tôt.
« Festoie, mon bon Jacques, avait dicté le roi dans un souffle. Il me souvient de pareils moments où ton rire tonitruait à mes côtés. N'écoute ni les envieux ni les faux amis. À ton âge on ne se marie plus pour satisfaire quiconque ou par intérêt, mais bien parce que la dame nous plaît. Sois heureux donc. Envers et contre tous. Si je n'étais au plus mal, je viendrais en personne bénir cette union. Las, je me meurs et ne te reverrai point. En ce jour de liesse pourtant, réjouis-toi au lieu de me pleurer. C'est ainsi que doivent être les choses en ce bas monde et c'est ainsi que je veux qu'elles soient … »
Le baron se devait de respecter ce qu'il accepta comme les dernières volontés du monarque. Il chassa ses tristes pensées. D'un geste de la main, il invita maître Janisse, lequel, ému, triturait son tablier immaculé au bout de l'allée, à s'avancer. Le chef cuisinier vint s'incliner devant eux, se racla la gorge pour leur présenter ses hommages, puis, plein de son importance, déroula le menu qu'il leur avait concocté. Un murmure général d'approbation donna au maître-queux les lettres de noblesse qui lui manquaient. Lorsqu'il se retira, il en était plus enorgueilli qu'un prince.
Ce fut ensuite au tour de Mathieu et de son père de s'annoncer sous les quelques notes rituelles d'une trompette. Sur un plateau qu'ils portaient à deux se trouvait une couronne de pâte à sel savamment tressée à la manière des épis de blé et entremêlée de rubans aux couleurs des Sassenage.
— Que ce modeste gage de notre attachement orne votre table, Vos Seigneuries, et vous garantisse bonheur et prospérité, clamèrent-ils ensemble en s'inclinant dans un mouvement longuement répété pour que la révérence présente en même temps l'objet.
— Quelle belle idée ! s'exclama Sidonie qui s'était jusque-là demandé à quoi était réservée cette place devant eux sur la nappe.
La couronne vint s'y insérer à merveille. Ils s'apprêtaient à se retirer lorsque Jacques interpella Mathieu :
— N'as-tu point, mon garçon, une requête à formuler ?
— Est-ce le bon moment, mon seigneur ? s'empourpra le jouvenceau, déconcerté.
— Le meilleur, puisque je t'y invite…
— En ce cas…
Comme maître Janisse tout à l'heure, il se racla la gorge, secoua la tête, lissa ses cheveux d'une main moite, chercha Algonde, supposa, ne la trouvant pas, qu'elle se préparait plus loin au service et se lança, sous l'œil encourageant de son père, indulgent de Sidonie et bienveillant du baron.
— Voilà, dit-il en préambule, c'est à propos d'Algonde…
— À laquelle tu veux du bien, s'amusa légèrement le baron.
— Grand bien, rectifia Mathieu.
— Assez pour l'épouser, s'entend.
— C'est cela, se réjouit Mathieu, comprenant qu'on lui facilitait la
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