Le Chant des sorcières tome 1
qu'Algonde reste à ses côtés.
— Tu as raison de te mettre à couvert, morveux, tu pues comme une charogne, ricana une voix à senestre.
Marthe.
Il releva la tête en serrant les mâchoires. Les poings sur les hanches, elle lui masquait le soleil dans son ombre noire.
— Je n'ai que faire de tes conseils, aboya-t-il.
Elle s'approcha et s'accroupit pour se ramener à sa hauteur.
— Pauvre Mathieu. Même sans ce providentiel carnage, tu croyais vraiment que tu quitterais Sassenage ? Que le baron te laisserait dans le sillage de sa putain ?
Il sursauta.
— Va cracher ton fiel ailleurs, sorcière, tu ne m'abuseras pas avec tes calomnies !
Elle se mit à rire.
— Tu as raison. Il vaut mieux laisser ton Algonde continuer son manège. Épouse-la donc, que le baron puisse l'engrosser à son aise.
Relayant celle qui sourdait en lui, la colère battit les tempes du jouvenceau, fauchant d'un coup sa migraine. Il se rua sur Marthe pour la faire taire.
Déséquilibrée par la soudaineté de son attaque, elle se retrouva sous lui, écrasée par son poids.
— Tu mens, tu mens, se rassura-t-il en l'étranglant de sa main valide.
Le regard se fit sournois dans les orbites creuses.
— Pauvre fol, crissa-t-elle dans le léger souffle qu'il lui laissait encore.
Elle eût pu d'un geste s'en débarrasser, mais sa vengeance était ailleurs. Dans ce pas qui s'approchait des lices, dans cette silhouette qu'elle avait vue revenir des bois un sourire aux lèvres. Algonde cherchait Mathieu. Cette petite garce allait payer pour ses impertinences, pour avoir osé les braver. Sombre idiote qui avait cru pouvoir leur échapper en se débarrassant de l'épervier. Non. Rien ne briserait ce qu'avec Mélusine elle avait mis tant de siècles à orchestrer. Et surtout pas ce bouseux.
Marthe toussa. Ignorant qu'il ne pouvait la tuer, Mathieu s'acharnait sur sa gorge, les traits mangés par la haine. Le mal. Le mal s'immisçait en lui. Lorsqu'elle jugea qu'il l'avait assez perverti, elle pinça ses narines. Le chant, ensorceleur, se faufila jusqu'aux tympans du jouvenceau.
Hébété, il desserra aussitôt sa tenaille, releva les jupons avec impatience et, sans même savoir pourquoi ni comment, planta son vit brutalement dressé entre les cuisses de l'infâme.
C'est cela qu'Algonde découvrit en débouchant dans le champ clos. Deux corps mêlés par un plaisir bestial. Elle s'immobilisa en les reconnaissant. Son cri de surprise et de détresse se perdit dans celui de Mathieu, qu'une jouissance démesurée cambrait longuement vers l'azur, face à elle. Ce visage ravagé, Algonde ne le lui connaissait pas. Elle se mit à trembler de tous ses membres.
Le charme retomba avec la voix de Marthe, dans un dernier spasme qui planta l'œil borgne de Mathieu dans celui d'Algonde à quelques pas de lui. Dans la douleur sans nom qu'il y lut, il prit conscience de ce qu'il venait de faire.
— NON ! hurla-t-il en tendant sa main déchirée vers elle.
Mais déjà elle s'était détournée pour fuir à toutes jambes.
Il s'arracha de ce ventre menteur, incapable de comprendre ce qui l'y avait poussé et, malgré ses plaies, recula comme un chien, à quatre pattes, autant effrayé qu'écœuré. Marthe s'assit et passa une langue gourmande sur ses lèvres qu'il avait mordues. Elle jubilait.
— Sorcière, sorcière, répéta-t-il en se relevant comme il le pouvait, la paume droite en feu, ensanglantée par le frottement des cailloux.
Une seule idée en tête. Algonde. La rattraper. Justifier l'inexplicable qui déjà le rongeait.
— Vous voici à égalité, ta catin et toi, ricana Marthe, demande-lui donc si elle jouit autant avec le baron…
Il s'enfuit sur les traces de son aimée.
Il rattrapa Algonde près de la rivière. Jusque-là, malgré ses appels, elle ne s'était pas retournée. Elle pleurait, assise sur le rocher où il lui avait fait sa demande en mariage. Incapable d'aller plus loin sans s'effondrer, il s'appuya un instant de la main gauche à un arbre en bordure de la clairière pour reprendre son souffle. Son regard baissé accrocha son sexe rabougri qui dépassait de sa brayette. Honteux, il voulut le ranger de sa dextre, mais ne sut que le couvrir de sang. L'image le faucha. À cet instant, il sut que Marthe avait dit vrai. Cette première fois avec Algonde aurait dû lui laisser la trace de sa virginité. Il se crispa sur cette évidence, comprenant qu'elle lui avait échappé ce jour-là. Il était
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