Le Chant des sorcières tome 1
leur présentation par le héraut. Dans le brouhaha des conversations de la tablée parvenait du coup un étonnant menu aux oreilles des invités.
— Potage au lait d'amandes.
— Bouffonnades et jongleries.
— Terrine de perdrix au genièvre sur pain de seigle.
— Tourte de foie de génisse aux fèves et aux épices.
— Messire Louis le Gasp et sa viole.
— Blanquette d'écrevisses aux girolles et herbes fines sur tranchoir.
— Les singes du sire Chapelier.
— Canard en civet à la sauce dodine.
— Cuissot de cerf rôti au miel, arrosé à l'esprit de mirabelles et les cracheurs de feu pour l'accompagner.
— Lait caillé aux condiments sur pain aux noix.
— La farandole des mariés sur les airs de leur choix à laquelle on est invité à s'accrocher au passage.
— Le singe de… comment ? Ah… Oui… Messire Chapelier vous prie de lui pardonner d'avance les extravagances de son singe qui s'est détaché. Il ne fera de mal à personne si on ne l'empêche pas de chaparder à manger. Viendront à la suite les doigts de fée aux filandres de caramel, arrosés de vin framboisé.
Les marmites en provenance de la cuisine, portées par deux hommes qui utilisaient un long morceau de bois passé dans l'anse pour ne pas se brûler, arrivaient sur une gigantesque table qu'on avait mise en retrait. Là, on étalait leur contenu sur des tranchoirs préalablement coupés dans les miches de pain rassis de trois jours avant d'amener le tout à l'aide de plateaux de bois, qu'il fallait être à deux pour transporter et un troisième pour servir. Quand il ne fallait pas aider à la découpe des viandes, décorer les plats de pétales de fleur, remplir les aiguières et les pichets de vin épicé, ou les corbeilles de pain, de fruits, de nougat noir. Sans parler des rince-doigts à l'eau de rose qu'il fallait présenter entre chaque plat, vider puis renouveler. Algonde était partout. À peine avait-elle le temps d'un coup d'œil sur les divertissements. Le singe, habillé d'une tunique et de braies, l'amusa beaucoup dès lors qu'il se mit à grimper aux poteaux de la tonnelle, suspendu de travée en travée pour échapper à son maître, dérobant ici une noix, là une cerise confite, là encore une bise sur la joue d'une dame qui hurla de frayeur. L'ours aussi fit grande impression à Algonde. Elle resta figée, comme tous, lorsque devant Sidonie et Jacques la bête se dressa sur ses pattes arrière en grognant. Un silence éloquent d'angoisse plomba un instant l'assistance, qui se transforma en un éclat de rire dès que l'animal se masqua les yeux de ses pattes comme un enfant grondé, puis, sur l'ordre de son maître qui le tenait en laisse, une cravache à la main, se mit à se trémousser d'une patte sur l'autre au rythme de la musique.
Jusqu'à la nuit tombée et longtemps encore pour quelques-uns, on fit ripaille de vin, de danse, de bonne chère et de gâteries dans les fourrés.
Sidonie et Jacques se retirèrent quant à eux les premiers. Marthe ayant levé sa punition, les époux belinèrent jusqu'à l'aube, et s'endormirent au chant du coq, enlacés et heureux d'être enfin l'un à l'autre et l'autre pour l'un en toute légitimité.
Philippine rêva d'Enguerrand, Enguerrand de son adoubement, et Mathieu d'Algonde. Cette dernière, exténuée, s'effondra, elle, sur sa couche après avoir brisé sur la nuque d'un seigneur soûl comme un goret la cruche de terre cuite qu'elle tenait en main. Cette nuit-là, de même que celle qui suivit, tout comme sa pire ennemie, elle sombra d'un bloc dans un profond néant.
Le troisième jour était celui des joutes. Jacques avait décidé qu'elles se tiendraient après le banquet. Le tournoi devait clore les festivités.
Dans la grande salle du château, on avait repoussé les tables contre les murs, enfonçant les coffres sous leurs plateaux. Au fond, les bancs avaient été soigneusement empilés. Jacques tenait à ce que tous ses invités assistent à l'adoubement d'Enguerrand de La Tour-Sassenage.
Lorsque celui-ci arriva, le cœur battant la chamade, la salle était déjà comble et, au bout de la pièce, devant l'autel qu'on y avait disposé, l'abbé Vincent et le baron Aymar de Grolée l'attendaient au côté de Jacques.
Sans hésiter, Enguerrand fendit la foule avant de poser un genou à terre devant Jacques de Sassenage.
— En ce vingt-neuvième d'août de l'an de grâce 1483, pour quelle raison, toi, sire Enguerrand de La
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