Le Chant des sorcières tome 2
invasions arabes, celle que sa mère, descendante d'une dynastie déchue, lui avait enseignée dès le berceau, pour qu'elle ne se perde pas. Ce jourd'hui, elle avait seulement conscience qu'ils pouvaient la décrypter, lire dans sa tête ces messages d'amour et de paix qui ne franchissaient pas ses lèvres scellées par le baiser.
Et soudain, une image lui vint. Elle s'écarta presque brutalement de l'étreinte d'Enguerrand.
— Viens, hurla-t-elle en lui saisissant la main d'autorité.
Un vent violent et glacial provoqué par le tourbillon des âmes toujours au-dessus de leur tête soulevait la poussière autour d'eux. Ils étaient le centre d'une tornade qui peu à peu se resserrait et dans laquelle, leur battant les jambes et le dos, des débris de bruyère et d'herbes aromatiques arrachés du sol voisinaient avec de petites pierres blanches.
Ce sifflement l'empêcha de répondre qu'ils étaient prisonniers, pourtant il se laissa entraîner, certain qu'elle voulait tenter, malgré tout, d'atteindre la pinnettu. Mais, à sa grande surprise et avec une force insoupçonnée, elle franchit la barrière de poussière et dévala la pente vers le tombeau.
*
Mathieu s'immobilisa net sur le perron de la vaste demeure. Perdu dans son dédale, il avait couru sans discontinuer, jusqu'à trouver un escalier et s'y engouffrer. Descendre. Sortir. Voilà tout ce qu'il voulait. Respirer. Il reprit son souffle sur les marches, face au manteau d'étoiles. Il était seul. L'heure était à la veillée. Quelques rires diffus lui parvinrent. On bélinait dans les bosquets du jardin d'agrément tout proche, tandis que de la chapelle dont il apercevait l'angle flanqué de vitraux, s'élevait un chant liturgique.
Il se repéra. S'il contournait la bâtisse à l'est, il retrouverait les écuries, leur chariot et, caché derrière l'essieu, le braquemart. Lors il pourrait quitter la place. D'une manière ou d'une autre. Voilà. Mais au lieu de s'y rendre, il s'assit sur la pierre froide et, s'appuyant des coudes sur ses genoux, prit son menton dans ses mains. De fait, il n'avait pas le courage d'aller plus loin. La lune était pleine, ronde comme ce sein entraperçu, comme cette petite tête qu'il y avait vue appuyée. Et ce souvenir-là lui coupait les jambes.
Il fixa l'astre de la nuit, apprivoisé par la douceur de l'air, sans se rendre compte qu'un sourire attendri se dessinait lentement sur ses traits.
*
Ils se déplaçaient au-dessus d'eux à leur allure. Enguerrand ne comprenait pas. Rien d'autre ne se passait. Ils avaient cessé de l'attaquer depuis que son épée était tombée. Les démons jouaient-ils avec eux ? Pourquoi Mounia cherchait-elle l'entrée de la tombe des Géants, la main si serrée autour de la sienne que malgré sa force d'homme il avait le sentiment d'avoir les os broyés ?
Ils s'engagèrent dans un long couloir de pierre, étroit et carré, qui menait sous terre. Au bout de quelques toises, un silence macabre succéda aux hurlements décroissants du vent démoniaque.
Enguerrand retint la traction que Mounia exerçait. Elle se retourna pour sonder l'obscurité.
— Il faut avancer, dit-elle.
— Pourquoi ? C'est de là qu'ils sont sortis.
Elle revint se presser contre lui.
— Fais-moi confiance. S'il te plaît. Il faut agir vite. Après je t'expliquerai.
Il chercha quelque argument à lui opposer avant de plier devant l'assurance de sa voix.
*
À peine eut-elle franchi les battants grands ouverts des portes du château, qu'Algonde reconnut sa chevelure bouclée et ses épaules massives, et son cœur se mit follement à cogner. Il n'était pas parti. Tout n'était pas joué. Elle se fit discrète pour ne pas l'effrayer. Discrète pour le rejoindre.
Il l'avait devinée derrière lui. Peut-être au parfum de sa peau qui, lui, n'avait pas changé. Le souffle de la brise le lui avait porté. Elle pouvait se donner des allures de damoiselle, la petite bécaroïlle se frictionnait toujours à la menthe fraîche, en sauvageonne qu'il avait espéré la voir rester.
Elle s'assit à ses côtés, tout comme lui, à même les marches, laissant le seul espace d'un coude entre eux. Ne pas le regarder. Ne rien brusquer. Juste attendre. Seuls sous le regard de la lune. Et laisser la nuit les avaler.
*
La lumière les reprit. Les âmes revenaient au tombeau. Silencieuses cette fois. Elles restaient à distance, flottant en nuées bleutées contre les murs qu'elles tapissaient de mouvances.
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