Le Chant des sorcières tome 2
sentit misérable de leur avoir mené combat.
*
Mathieu s'était levé. Dès les premiers mots d'Algonde, dès qu'elle avait évoqué Marthe.
— Ne restons pas là, avait-il dit, la voix grave, en réprimant un frisson de malaise.
Il l'avait entraînée dans les jardins, à la course, le plus loin possible du château, là où les arbres se resserraient tant que les bosquets se perdaient dans leur ombre. Là où nul ne pouvait les entendre. Il avait compris que ce qu'elle lui avouait enfin, le souffle court, scellait à jamais leur destin. Il ne voulait pas qu'il y ait de témoin. Pas même la lune cette fois.
Assise à côté de lui entre les racines d'un gros chêne, Algonde lui avait tout raconté. Depuis sa première chute dans le Furon jusqu'aux caresses de Philippine en passant par ses liens si étroits avec l'épervier. Elle ne voulait plus rien lui cacher. Elle le voulait libre. Libre de l'aimer avec sa différence, son fardeau, ses déchirures et son espoir. Libre de la haïr pour ses choix passés, ses actes de chair, ses monstruosités. Libre de rester ou de partir. À présent que le silence était retombé entre eux et que sa tête reposait sur son épaule, elle se sentait elle-même libérée. Plus forte, quoi qu'il arrive. Plus forte, quoi qu'il décide.
Parce que c'était la plus grande preuve d'amour qu'elle pouvait lui donner.
*
Au fur et à mesure que le rayon de lune modifiait l'élixir, la lumière devenait plus épaisse, plus intense, et ils durent plisser les yeux pour suivre le mouvement de tête des Géants vers la paroi dépourvue de couloir. À l'inverse des autres, déformées par leurs dentelles d'argent, la face nue du flacon pyramidal se reproduisait sur elle.
— Viens, ordonna encore Mounia en obligeant Enguerrand à se relever.
Ils gagnèrent le mur plein. Se hissant sur la pointe des pieds comme elle l'avait fait tantôt pour insérer le flacon, Mounia appuya fortement sur une saillie au centre du triangle puis s'écarta. La paroi se mit à coulisser lentement, ouvrant une porte dérobée dans la muraille. Un dolmen s'y trouvait. Autel improbable cerné par le miroir d'une eau translucide. Un puits sacré, songea Enguerrand. Mounia se déshabilla et, d'un sourire, l'invita à l'imiter. Elle semblait habitée mais il avait depuis longtemps cessé d'avoir peur. Même si tout cela le dépassait, il comprenait qu'ils avaient obéi sans le savoir au destin qui était le leur depuis que le monde était monde.
Son vit se dressa d'autorité lorsque, ayant traversé le bassin de la source, Mounia s'allongea face à lui sur le dolmen, les cuisses ouvertes.
*
— Janisse serait content, je crois, si nous nous mariions le même jour, lui et moi, murmura soudain Mathieu.
Le cœur d'Algonde fit un bond dans sa poitrine.
— Alors tu veux vraiment de moi ? trembla-t-elle en levant vers lui un regard empli de reconnaissance.
— Je veux de vous, rectifia Mathieu avant de prendre ses lèvres et de la coucher entre les souches.
*
Dans la grande salle, à l'instant où Enguerrand pénétra Mounia, la fusion s'opéra. Foudroyés par le halo, les corps éthérés des Géants explosèrent. Devenus lumière à leur tour, masquant celle que la lune leur avait offerte jusque-là, ils se laissèrent aspirer par l'orifice ouvert au sommet de la stèle jusque dans le flacon pyramide. Lors, tout se calma. Plus un bruit ne régna à l'exception du souffle court des amants au-dessus du puits sacré. La nuit les baignait. Une nuit d'encre seulement trouée d'un faisceau bleu et triangulaire qui partait de la stèle jusqu'aux reins d'Enguerrand. S'ils avaient assisté à la scène, ils se seraient demandé pourquoi, loin du repos qu'avait imaginé Mounia pour eux, l'âme des Géants s'était volontairement fondue à l'élixir de la fiole et entretenait cette lumière projetée.
Mais il aurait fallu pour cela qu'ils sachent, comme Mathieu et Algonde, que cette nuit-là ne leur appartenait pas. Qu'elle était tout entière attachée à la prophétie et au pouvoir des trois.
29
Fébrile, Djem n'avait pu dormir. Encore moins honorer Almeïda qu'il avait fini par chasser de sa couche.
— C'est à cause de cette fille, cette Hélène ! s'était dressée la Grecque, vexée qu'il ne lui cède pas.
— Tais-toi ! Tu ne sais pas ce que tu dis, lui avait objecté Djem d'une voix molle, sans conviction, qui l'avait fait se dresser pour s'agenouiller, nue, les seins durs, au milieu des draps
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