Le Chant des sorcières tome 2
Catarina partageait avec Brack.
Outre la paillasse, une table, un coffre et un évier de pierre creusée constituaient le seul mobilier. Un cercle de pierres noircies au centre de la pièce témoignait d'un ciel ouvert à l'endroit où les branchages du toit eussent dû se rejoindre, mais en levant les yeux, Mounia put constater qu'on l'avait refermé. Il en était de même pour les fenêtres, barrées de l'intérieur par des volets. L'inquiétude la reprit et laissant les deux cousines, elle poussa la porte pour voir si Enguerrand arrivait.
À peine sortie, un vent froid la saisit, incongru en cette saison. Tout en balayant le sentier du regard, elle resserra les pans de son châle autour de ses épaules. Pas âme qui vive, songea-t-elle abruptement en frissonnant davantage. Où était Enguerrand ?
— Ton époux est courageux mais il ne sait pas quelles forces habitent les nuraghi.
Mounia tourna la tête vers Catarina qui, sans qu'elle l'entende, l'avait rejointe. Les mains dans le dos, droite comme un if, elle vint se placer à ses côtés.
— J'ai froid.
— C'est toujours ainsi que cela commence pour qui les perçoit, annonça Catarina avant de tendre le doigt vers le bas du sentier. Là, il remonte. Le vois-tu ?
Mounia s'abîma les yeux à la clarté de la lune avant de soupirer d'aise. Tirant sa charge et avançant au pas pour ne pas que le baudet s'abîme les jambes sur un rocher, Enguerrand laissait peu à peu derrière lui la tour païenne.
Elle se détendit de suivre sa progression, malgré cette fraîcheur qui augmentait.
— Je n'ai jamais rien ressenti de semblable. Je suis glacée. D'où cela vient-il ?
— Je l'ignore. Je suis née avec ce don, sans savoir ni pourquoi ni comment on me l'a donné. Là.
De nouveau elle tendit le doigt, cette fois vers le nuraghe.
— Tu vois ?
Oui, Mounia voyait. Une vapeur bleutée qui sortait du ventre des pierres et ondulait comme un fin brouillard sur l'écran de lune. Puis une autre et une autre encore.
— Seigneur Jésus, qu'est-ce ? se mit-elle à trembler.
— Les âmes des trépassés, murmura Catarina d'une voix blanche avant d'ajouter :
— Viens. Il est temps de rentrer.
— Et lui ? s'effraya Mounia qui voyait à présent l'étrange ballet gagner au-dessus des pierres, au-dessus d'Enguerrand, sans qu'il semble en prendre conscience.
Les doigts de Catarina se refermèrent sur son bras, comminatoire.
— Viens. Tu ne peux plus rien pour lui, ils vont l'emmener.
Elle avait raison. Mounia le sentait. Elle le savait. Son cœur lui fit mal, son bras lui fit mal d'être tirée vers l'arrière avec cette force de volonté qu'ont les êtres quand leur vie est en danger. En quelques secondes, le ciel tout entier s'était couvert de formes évanescentes qui se resserraient sur Enguerrand et dont elle pouvait entendre le rire. Elle le vit lever les yeux, lâcher la longe, dégainer son épée et à cet instant où elle savait le perdre, tout son être s'arc-bouta pour l'empêcher. Elle se dégagea avec violence des mains de cette femme qui voulait l'entraîner et tandis que le baudet s'enfuyait et que son époux battait l'air de sa lame, elle dévala le sentier pour mourir à ses côtés.
28
Ne sachant dans quel plat Francine avait versé le poison, Algonde n'avait pas touché à son souper et comme Gersende à présent, la faim la tenaillait.
— C'est nous qui aurions dû descendre, se désola-t-elle en entendant son estomac gargouiller méchamment.
Elora à son sein n'en parut pas gênée. Elle tétait goulûment en pétrissant le mamelon de ses doigts fins.
— Bah, nous mangerons mieux tout à l'heure, se contenta sa mère à ses côtés, attendrie du spectacle.
— Tout de même, leur en faut-il du temps pour s'en venir ! Tel que je le connais, je parierais que Mathieu se fait prier, soupira la jouvencelle.
— Je ne voudrais pas que tu te fasses trop d'illusions, Algonde. Il t'a connue servante et te voilà damoiselle. Je ne crois pas que cela aura l'heur de lui plaire.
— En suis-je responsable ?
Gersende secoua sa tête ronde aux nattes refaites et roulées au-dessus des oreilles.
— Non point, mais cela ajouté au reste… Tu devines à quel point je rêve de ce mariage ma bécaroïlle, mais je sais aussi combien il te fragilisera face à la Harpie.
Algonde darda dans les siens ses grands yeux couleur de mousse.
— J'en ai conscience, mère, mais je ne sais si j'aurais la force de le perdre
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