Le Chant des sorcières tome 2
marier s'y trouvera assemblé. Parmi eux peut-être…
Philippine baissa les yeux sur un fard qui n'échappa pas à la sagacité de Sidonie. Elle lui releva le menton d'un doigt recourbé et fouilla le regard clair.
— Y aurait-il quelque chose dont tu aurais oublié de me parler ?
— Je l'ai vu. Le Turc. Dans la forêt. C'est à cause de lui que je me suis arrêtée sous le grand hêtre, avoua Philippine d'une voix coupable.
— Le sultan Djem ?
Philippine hocha la tête, l'œil soudain brillant d'une émotion ravivée. Sidonie éclata de rire.
— N'en dis pas davantage et hâte-toi de l'oublier. Les musulmans ne sont pas d'une race qu'une chrétienne peut épouser !
*
À mesure que son cheval avalait les lieues en direction de Rochechinard, Djem avait chassé de son esprit le visage de cette femme effrayée qu'il avait pourchassée. Seule sa beauté, fulgurante et entêtante, lui était restée comme un parfum laissé dans un sillage. Il avait failli en oublier la version qu'il devait servir à son geôlier. La réalité l'avait rattrapé devant la poterne, au pied de l'imposante tour polygonale flanquée elle-même de tours cylindriques percées à intervalles réguliers de bouches à feu horizontales. Alors que Djem avançait sous l'étroit passage en barbacane, un des gardiens l'avait apostrophé avec surprise pour lui demander où se trouvait Houchang. Recouvrant ses esprits et dédaignant de répondre, Djem s'était empressé sur la pente abrupte qui, sitôt passée une petite cour intérieure, ramenait au donjon circulaire dans lequel logeait la garnison. Il avait mis pied à terre devant les écuries attenantes. Allongeant son pas en rapides foulées, le visage fermé, il avait gagné l'escalier taillé dans le roc qui remontait vers le corps de logis rectangulaire. Les hospitaliers partageaient les vastes chambres et salles de réception de la partie Ouest avec le propriétaire des lieux, Barachim Allemand. Djem et les siens occupaient la partie Est qui, par la terrasse, s'ouvrait sur un des ravins protégeant le château. Seule la cuisine au rez-de-chaussée du bâtiment leur était commune.
Négligeant d'avertir ses compagnons, Djem avait avalé les marches étroites de la tourelle extérieure pour se précipiter dans le bureau de Guy de Blanchefort qu'il savait occupé à son courrier à cette heure de la journée.
Guy lissa d'un geste machinal et ennuyé sa barbe en pointe de lance, identique à celle qui couvrait le menton du prince, avant de se lever. Son récit achevé de la triste disparition de Houchang, Djem se tenait immobile face à la fenêtre à meneaux, le regard embrassant sans le voir le versant de la montagne de Musan. Guy de Blanchefort lui posa une main amicale sur l'épaule, le tirant de sa rêverie que, malgré les circonstances, l'inconnue persistait à hanter.
— Je partage votre tristesse, Zizim. M'accorderez-vous le droit de dire une messe pour Houchang ?
Djem tourna vers lui un œil surpris.
— Je doute que ce soit apprécié de vos compagnons. Quant aux miens, c'est Allah qu'ils prieront.
Guy de Blanchefort accentua chaleureusement sa pression.
— Qu'aurait fait votre mère ?
La douceur du visage de Çiçek Hatoune passa furtivement devant ses yeux. Depuis qu'il était à Rochechinard, Djem n'avait plus reçu aucune nouvelle. De personne. Les hospitaliers avaient voulu effacer sa trace. Ils avaient réussi. Il hocha la tête.
— Elle aurait affirmé qu'au royaume du Très-Haut, le pauvre est l'égal du riche, et le musulman celui du chrétien. Faites, puisque vous le souhaitez. Je viendrai. Seul sans doute, mais je viendrai.
Il s'écarta pour se fendre d'une courbette.
— Si vous le permettez, grand prieur, je vais me retirer. Il me faut à présent annoncer aux miens la triste nouvelle et donner à soigner cette épaule dont la douleur lancinante ravive le souvenir de mon échec à sauver mon ami. Mon frère.
Guy de Blanchefort le lui accorda sans mettre en doute un seul instant le tourment qui le tenait.
*
Philibert de Montoison avait lui aussi eu le temps du retour pour passer de la colère à une réflexion amère et de Philippine à Djem. Il n'avait capté que peu de chose de la conversation du prince avec Houchang, caché en bordure du chemin qu'avait enfilé ce dernier pour fuir. Il n'avait retenu que le nom de Mounia, porté par la brise, mais pouvait-il en être certain ? Quand bien même Djem aurait appris qu'elle avait
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