Le Chant des sorcières tome 2

Sassenage enroula autour de ses épaules un bras protecteur qui étouffa dans la gorge du chevalier toute objection.
    — C'est oublié. Retourne à tes distractions à présent, dit-il en l'entraînant vers la porte.
    — Venez-vous, Philibert ? demanda Philippine en tournant la tête vers lui.
    — Je crains que ce ne soit possible. Il s'apprêtait à quitter le palais, et je tiens à le raccompagner en personne pour mieux m'excuser, répondit à sa place Jacques de Sassenage en ouvrant le battant.
    — En ce cas, messire, je vous souhaite une heureuse fin de journée, lui retourna Philippine avant de s'éclipser dans le couloir.
    Ce pourceau avait eu la leçon qu'il méritait !
    À peine la porte refermée, Jacques de Sassenage, le poing sur le plommel de sa lame, se dressa devant Philibert de Montoison, blanc de frustration.
    — Un mot, un seul encore et je vous transperce de cette épée. Quant à moi je n'en aurai qu'un seul. Disparaissez !
    Philibert de Montoison écrasa ses fourmillements d'un pied rageur et sortit sans se retourner. Cette garce l'avait joué et il ne lui restait plus qu'à espérer qu'elle ait été engrossée.

13
    — Voilà toute la vérité. Si mon père l'apprend, je serai perdue. Et pareillement si mon ventre forcit. Or, tout m'est préférable qu'épouser ce monstre. M'aiderez-vous ? demanda Philippine à Sidonie, installée face à elle sur le petit tabouret que venait de quitter Marthe pour les laisser seules.
    Sidonie se trouvait dans son cabinet de toilette avec sa chambrière occupée à la parer lorsque Philippine s'était annoncée. Dans cette élégante pièce aux murs ornés de miroirs somptueusement encadrés d'ondines, le visage désespéré de la damoiselle répondait à l'infini à l'air grave de sa cousine.
    Sidonie lui pressa les mains avec compassion.
    — Tu peux compter sur ma discrétion, même si le droit pousserait davantage ton père à pourfendre ce scélérat qu'à te le donner en mariage. Cela dit, je te comprends. Ta virginité perdue, Jacques risquerait de te trouver en hâte un époux, qui s'avérerait tout aussi détestable s'il te prenait pour ta dot plus que pour toi-même. Il faut donc agir. Vite. Souffres-tu ?
    Philippine grimaça :
    — À dire vrai, je suis encore écartelée. Si vous saviez comme je m'en veux de m'être laissée surprendre. C'était si…
    Des larmes, retenues par sa précédente détermination à écarter la menace, revinrent lui piquer les yeux. Sidonie lui caressa la joue.
    — Chasse ce souvenir et complotons plutôt pour que jamais plus tu n'aies à subir de semblable violence. Marthe a une grande connaissance de ces choses. Elle te préparera de quoi empêcher une éventuelle grossesse.
    Philippine blêmit.
    — N'est-il pas risqué de la mettre dans la confidence ?
    — Tu ne l'aimes pas, je le sais, mais elle m'est dévouée et ne trahirait aucun secret que je lui demande de garder. Retourne à tes gens à présent. Malgré ta douleur, il faut qu'ils te voient telle que tu as voulu paraître devant ton père. Belle et aussi légère qu'à l'accoutumée. Tu sais pour t'en être servie le pouvoir des rumeurs. Démens par ta prestance tout ce qui aura circulé.
    — Mais on m'a vue revenir au château avec lui, les jupons froissés, la coiffe de travers.
    Sidonie haussa les épaules.
    — Tu es tombée de cheval et dans sa grande mansuétude le chevalier de Montoison qui passait par là pour voir ton père t'a relevée et raccompagnée. Il n'y a là aucun motif à rougir. D'autant que pour l'heure et jusqu'à ce que le grand maître de l'Ordre ait décidé du contraire, il reste moine aux yeux de tous. Ce soir, Marthe te portera la potion qu'elle aura préparée. Sans doute en seras-tu incommodée. Je vais prétexter moi-même quelque indisposition pour repousser le voyage à Saint-Just que ton père avait envisagé. À moins que tu ne préfères t'en dispenser.
    Le visage de Philippine s'éclaira :
    — Au contraire. Je suis aussi impatiente de revoir mes cadettes que sœur Albrante !
    — Or donc c'est décidé. Reprends-toi vite. À la Pentecôte, un grand tournoi sera donné en ville de Romans pour les épousailles de Louise de Clermont et d'Antoine de Montchenu. Ton père me l'a appris tantôt : notre famille y est invitée et tes frères seront en lice. Je tiens à ce que tes sœurs puissent nous accompagner car tout ce que le pays comporte de damoiseaux en quête de panache et de jouvencelles à