Le Chant des sorcières tome 2
sa chair. Il émanait de ce petit être, que son bras replié pouvait bercer en entier, une puissance qu'Algonde était seule à véritablement percevoir.
Elles auraient dû mourir. Ensemble. Algonde savait que sa fille l'avait ramenée et que là encore, elle la maintenait. Instinct de survie ? Le nourrisson avait-il compris que sa survivance était liée à celle de sa mère ? Ou était-ce la résultante d'un amour si grand déjà, une complicité si intense que l'une ne pouvait se passer de l'autre ? Le berceau touchait le lit d'Algonde, mais Elora n'y retournait que la nuit. La journée durant, elle était couchée sur sa mère à même le coton de la chemise, à plat ventre, l'oreille au-dessus des battements du cœur, sous le sein gauche. Algonde avait beau la changer de place, Elora finissait toujours par y revenir, comme si elle avait besoin de se bercer du soulèvement régulier de cette poitrine devenue généreuse.
Isolée de tous, si l'on exceptait Francine, la servante qui venait lui porter à manger, et Philippine qui jusque-là ne l'avait quittée que pour dormir, Algonde avait eu le temps de ruminer ce mystère. Elle était certaine que le philtre administré par Marthe avait dû réveiller en elle les traces laissées par le poison de la vouivre. À en juger par la lumière dont sa naissance s'était illuminée, la petiote s'était gardée du mal qu'on avait voulu lui léguer. Pas Algonde. Elle demeurait persuadée que le fait de les avoir séparées elle et sa fille après l'enfantement avait été une erreur, mais pouvait-elle en vouloir à la ventrière d'avoir isolé l'enfant, trop chétive, d'un quelconque danger d'infection ? Elle-même ne s'y était pas opposée. À présent, et bien que Philippine lui ait assuré que le médicament confié par sœur Albrante l'avait guérie, Algonde était certaine que le seul miracle dont elle avait bénéficié était ce contact renoué avec Elora. Elle ne voulait plus s'en passer. D'autant que ses malaises restaient ce jourd'hui inexplicables. Au dire de la ventrière, son ventre était cicatrisé. Et l'eau de fer qu'on lui donnait à boire plusieurs fois dans la journée aurait dû depuis longtemps déjà la remettre sur pied. Or, le simple fait de se lever pour uriner la faisait chavirer. Marcher lui était impossible tant ses mouvements étaient désorganisés. Le premier jour, elle s'était convaincue que c'était transitoire, mais les troubles ne cessaient d'empirer. Comme si elle ne voulait pas reprendre le cours de sa vie. Sortir de cette pièce. S'exposer à Marthe. En découvrant que ses maléfices avaient échoué, que ni Elora ni elle ne lui seraient dévouées, que ferait la Harpie ? Les tuer ? Était-ce ce qu'inconsciemment Algonde tentait de retarder ? Elle n'avait pas de réponse.
Pour autant, ce jourd'hui elle se sentait mieux.
La nuit dernière, Présine lui était apparue dans sa forme éthérée.
— Ta mère s'en vient avec l'élixir des Anciens. Tu dois vivre, Algonde. C'est une nécessité.
— Marthe ne le permettra pas. Elle sait la vérité. Vous, moi, Elora.. Tout est perdu.
Présine avait posé sur son front sa main de lumière.
— Souviens-toi de cette image du futur que tu m'as confiée. Toi, debout, en proue de cette barque à fond plat.
Instantanément, Algonde se l'était réappropriée, jusqu'au bruit régulier des rames dans son dos, l'odeur marine du lac et le velouté de la brume qui s'ouvrait devant ses bras en croix. La trouée de lumière. Mathieu, vieilli, l'œil barré de la cicatrice laissée par l'épervier. La première fois qu'elle avait eu cette vision, le panetier n'avait pas encore été agressé.
« Tu dois croire en ton destin, Algonde. Lui seul est vérité », lui avait affirmé la fée avant de s'en aller. Depuis, Algonde avait repris confiance.
Elora desserra l'emprise de sa main sur son doigt. Elle s'était endormie en tétant. Ainsi abandonnée, elle était semblable à tout autre enfançon. Un léger sourire étira les lèvres d'Algonde. Présine n'aurait pas pris le risque d'exposer à la vue de Marthe le précieux flacon des Anciens si elle n'était pas certaine que l'élixir qu'il contenait rétablirait l'équilibre des forces dans cette maisonnée.
Elle caressa un instant les fins cheveux d'or de sa fille puis la détacha de son mamelon afin qu'elle soit mieux couchée.
*
— Ne fais pas cette tête, mon garçon ! Te voilà père, que diable ! gronda maître Janisse
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