Le Chant des sorcières tome 2
en piquant les côtes de Mathieu de son coude replié.
La bière que le panetier, grincheux, s'apprêtait à boire trembla dans son hanap. Sans répondre, il le porta à ses lèvres, sous le gloussement de deux fillettes qui, après les avoir attablés et servis, se faisaient des messes basses dans un recoin de porte.
Sitôt la carriole garée près des communs, Philippine les avait cantonnés l'un et l'autre dans l'arrière-cuisine promettant de les venir chercher dès qu'Algonde aurait pris son précieux remède. L'instant d'après, elle entraînait Gersende à sa suite dans la vaste demeure. Mathieu n'avait d'autre choix que d'attendre pour s'expliquer de vive voix avec Algonde. Pour autant, en avait-il besoin ? Algonde avait porté un enfant. Le sien, lui avait dit Philippine. Le sien, avait approuvé Gersende. À moins que ce ne fût celui du baron… Il ne pouvait s'empêcher d'y penser. Car sinon, comment expliquer qu'Algonde ne lui ait rien dit. Certes, ils s'étaient quittés fâchés. Certes, il avait annulé leurs épousailles, mais tout de même… Un enfant. Ce n'était pas rien !
Pour la troisième fois consécutive, Janisse étira sa main boudinée et se resservit une pinte. Il avait soif. Et faim. Grossissant sa voix, il héla une des filles :
— N'avez-vous point entendu votre maîtresse ? Du bouillon de jambon. À volonté, a-t-elle dit. Faudra-t-il que je franchisse moi-même cette porte pour l'aller chercher ?
À peine l'eurent-elles ouverte qu'un fumet de rôti voleta jusqu'à son nez. En connaisseur, il passa une langue gourmande sur ses lèvres.
— Cuissot de chevreuil en sauce aux airelles.
Fermant les yeux il huma plus encore.
— Pigeonneaux à la broche… Flambés à la mirabelle… Hummm… Quelques soufflés aussi… Une tourte aux champignons… Ma foi, je prendrais bien un peu de chaque… Pas toi ?
N'obtenant pas de réponse, il se tourna vers Mathieu perdu dans ses jalouses pensées et s'emporta avec son emphase coutumière.
— Alors quoi, vas-tu bouder longtemps encore ?
Mathieu lui accorda un regard en oblique.
— Je ne boude pas. Je réfléchis.
— Et à quoi donc morbleu ! Tu ne l'aimes plus, la bécaroïlle ?
— Il ne s'agit pas de cela maître Janisse…
— Et je voudrais bien voir moi qu'il s'agisse d'autre chose ! D'accord, elle est attrayante la Fanette, mais de toi à moi mon petit… c'est comme… comme… comme opposer une omelette à…
Il inspira de nouveau…
— … un pâté de truffes !
L'audace de la comparaison arracha un sourire à Mathieu.
— Là, tu vois… Ça ne se discute même pas ! Vous faites la paix, tu l'épouses et on s'occupe de la petiote…
Il fit claquer sa langue dans sa bouche.
— … Parce qu'il est pas question qu'on reste là ! Dans cette maison où on laisse mourir de faim les braves gens. Holà, vous entendez, vous autres ? beugla-t-il en direction de la porte, en se dressant sur ses phalanges.
Coïncidence ? Mathieu n'en douta pas car pour autant qu'il s'égosille, les marmitons n'étaient pas à portée de voix. À peine Janisse s'était-il rassis qu'une des servantes reparut, portant une soupière et deux écuelles. Aux mains de la deuxième qui suivait, une belle tranche de jambon rôti fumait sur un plat.
*
Le cœur d'Algonde avait bondi de joie en voyant la silhouette de sa mère passer le seuil de sa chambre. L'instant d'après, Gersende était assise à ses côtés sur le lit et tenait Elora dans ses bras. La porte barrée derrière elle, Philippine leur avait aussitôt rapporté les propos de Philibert de Montoison.
— J'ai cédé sous la menace, dame Gersende. Êtes-vous certaine que cette potion réglera la question ?
— Je le crois.
— Alors ne tardons plus, décida Philippine.
Gersende s'en fut coucher Elora dans son berceau puis, leur tournant le dos, releva ses jupons pour récupérer le flacon pyramide. Lorsqu'elle le tendit à Algonde, les yeux de Philippine s'agrandirent de surprise.
— Un instant, Gersende. Puis-je voir ce verre ?
Mère et fille se consultèrent du regard. Algonde hocha la tête et Philippine le tourna entre ses doigts.
— Il m'en rappelle un autre que sœur Albrante possède et que j'ai entraperçu. Je jurerais qu'ils sont frères. D'autant plus que c'est de celui d'Albrante que provient la potion qui t'a guérie de la fièvre, Algonde.
— Coïncidence sans doute, la sorcière de Sassenage m'a laissé entendre que les élixirs
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