Le Chant des sorcières tome 3
puis retournait à son siège recouvert de peau de lynx.
Cette fois, elle demeura accroupie devant elle.
— Il faut te préparer au deuil. Ce ne sera plus long, dit-elle.
Mounia secoua la tête, et avec elle la longue tresse de ses cheveux noirs.
— Il vivra.
La Khanoum caressa l'ovale du visage, s'attarda sur ce regard buté, impressionnée par la force qui en émanait et qui avait dompté jusque-là la douleur de l'enfantement.
— S'il n'était déjà mort tu ne le perdrais pas. Accepte-le. Dès maintenant.
— Non, répéta Mounia. Mon fils vivra, mais j'ai besoin de toi.
La Khanoum soupira.
— Je ne peux rien contre cela.
Elle s'apprêtait à se redresser, lorsque Mounia, lâchant la barre du portique, lui empoigna le bras. Sa détermination se fit murmure.
— J'ai caché quelque chose sous ma couche. Un flacon bleu en forme de pyramide. Rapporte-le-moi.
Elle desserra ses doigts. La Khanoum frotta sa peau meurtrie, surprise par sa poigne.
— Rapporte-le-moi. Je n'ai confiance qu'en toi, insista Mounia avant de haleter de nouveau.
La Khanoum hocha la tête, interdite, et s'éclipsa dans un mouvement de voile.
Mounia étouffa un cri entre ses dents serrées. Pas encore, décida-t-elle. Tu ne dois pas sortir encore.
Et pour le garder jusqu'au retour de la Khanoum, elle se focalisa sur le visage d'Enguerrand, plus que jamais vivant en elle.
*
Il en avait rêvé cette nuit au point de se dresser brutalement sur sa couche en murmurant son nom. Mounia. Le plus jeune des frères de Malika, qui partageait son matelas, lui avait manifesté son mécontentement d'une tape brutale sur l'épaule avant de grogner.
— Cauchemar ! Rendors-toi.
Mais Enguerrand de Sassenage s'était levé et avait gagné le rideau rabattu devant l'entrée de la vieille bâtisse à demi ensevelie sous le sable. Malgré la fraîcheur de la nuit, il avait déambulé dans cette ville d'Héliopolis qui avait cessé depuis longtemps d'en être une. La lune était ronde. Des étoiles pleuvaient au-dessus de sa tête. Sans rencontrer âme qui vive, il avait longé l'ancien rempart qui partageait autrefois la cité en deux parties inégales. Celle des dieux d'un côté, des hommes de l'autre. Et comme chaque fois qu'il avait le cœur lourd et les idées noires, il s'était retrouvé près de l'obélisque. Pour prier sur la tombe invisible de Mounia et de ses parents. Épuisé d'une douleur que le temps n'apaisait pas, il avait fini par s'endormir à même le sol de la cour du palais.
Au matin, le ventre creux, il était revenu chez ces gens qui continuaient à l'héberger sans lui poser la moindre question. Depuis qu'il avait appris leur langue, il partageait leur quotidien, s'activait à leur survivance à tous en s'employant dans les rues du Caire ou en mendiant. Rien ne le distinguait plus d'un Sarrasin. Ni d'un miséreux. Coiffé et habillé à leur manière, la peau tannée par le soleil, ses yeux noirs eux-mêmes, tout dans son apparence contribuait à le mêler à ce pays qu'il ne trouvait pas le courage de quitter.
Il était retourné dans la citadelle, à la faveur d'une nuit, avait forcé discrètement la porte condamnée de la maison d'Aziz. Il avait espéré y récupérer la manne que leur avait offerte la vente des épices en Sardaigne, mais tout ce qui avait quelque valeur avait été confisqué par Keït bey, à l'exception de la carte d'Aziz dont ils n'avaient pas trouvé la cachette derrière le marbre d'une colonne de l'entrée. Enguerrand s'en était emparé. Personne ne l'avait vu. Au Caire, on racontait qu'Aziz ben Salek était un original et qu'il avait quitté la région avec son épouse, au grand mécontentement du sultan. Keït bey l'avait fait rechercher pour le punir, en vain. Aziz avait su garder le secret d'Héliopolis. Nul ne viendrait troubler son repos. Enguerrand aurait voulu réhabiliter sa mémoire, lui obtenir une sépulture décente, mais comment avouer les faits sans être soupçonné de meurtre ? Il y avait renoncé, cherchant l'oubli dans le temple du benben.
Des jours entiers, à la lumière des lampes perpétuelles, il étudiait les cartes d'Osiris, ainsi qu'Aziz avait proposé de le faire cette nuit tragique avant de bâiller et de juger qu'ils auraient tout le temps pour cela. S'il avait su… se disait souvent Enguerrand en serrant les mâchoires sur sa colère. Elle ne le quittait pas, avait succédé à l'abattement, entretenait le chagrin et l'injustice, parce qu'il ne
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