Le Chant des sorcières tome 3
hauteur de marche, sentait son cœur se planter d'épines chaque fois que, malgré lui, les épaules de Djem s'affaissaient légèrement.
Les manches se succédèrent, voyant tantôt les tenants mordre la poussière, tantôt les assaillants. Au petit cri que poussa Marie de Dreux dans la tribune voisine, Philippine comprit que parmi les nouveaux adversaires entrés en lice se tenaient Philibert de Montoison et Laurent de Beaumont.
Lorsque ce dernier était venu, le soir de son arrivée à Romans, lui demander une danse à la faveur de la fête donnée par Djem, elle lui avait répondu qu'il lui fallait en obtenir l'autorisation de son promis, le sire de Montoison. Laurent de Beaumont avait failli tomber à la renverse.
— Comment ? Mais vous m'aviez assuré…
— C'est ainsi, mon ami. Il faudra vous en accommoder.
Philibert de Montoison, qui s'était d'autorité approprié la compagnie de la damoiselle, était ravi de voir qu'elle restait fidèle à son serment. Bombant le torse, il avait toisé le seigneur de Saint-Quentin d'un œil noir.
— J'ai assuré damoiselle Hélène que je ne toucherais pas un cheveu de votre petite personne. Ne me donnez pas des arguments pour m'en démettre. Disparaissez.
Furieux mais vaincu, Laurent s'était éclipsé. Le rire de Marie avait éclairé le reste de la soirée tant le jeune page s'était montré prévenant à ses côtés. Avait-il compris ? Philippine en douta dès l'instant où il baissa son heaume pour s'élancer à la course, la lance coincée sous l'aisselle et fermement maintenue en main, plus bas que ne le voulait le règlement. Il cherchait à pénétrer l'armure. De son côté, averti sans doute par son allure, le sire de Montoison avait fait de même. Le souffle court, elle attendit le choc. Il les ébranla. Les lances se rompirent sous sa violence mais aucun des deux ne tomba. Revenus aux barrières dans une envolée de poussière, ils en arrachèrent deux nouvelles à leurs râteliers. Indifférents aux autres qui, relevés par leurs écuyers ou restés en selle, quittaient la place, ils la réinvestirent d'un même élan pour s'affronter. Un instant ils furent seuls au mitan de l'esplanade, galopant à bride abattue dans un silence seulement martelé des sabots de leurs montures. De nouveau ils se heurtèrent. Plus violemment encore. On se leva d'un bond dans les tribunes, conscients soudain que se traitait là quelque différend bien éloigné des règles du jeu. Un murmure inquiet roula dans les rangs.
Pareillement fauchés, cette fois, par l'impact, ils furent propulsés en l'air et, avalés par le poids des armures, s'effondrèrent dans un bruit de ferraille. Les chevaux poursuivirent leur course. Les hommes demeurèrent au sol. On frémit dans l'assistance. Quelques damoiselles tombèrent en pâmoison. Marie, cette fois, demeura debout, le bout des doigts sur ses lèvres décolorées.
Le sourcil froncé, Djem observait les deux corps immobiles. Si seulement Philibert de Montoison pouvait ne pas se relever, pensait-il en voyant accourir les écuyers. Près des barrières, retenant leur bride, les autres jouteurs s'impatientaient.
La visière du heaume enlevée, Laurent de Beaumont fut redressé le premier. Il leva un bras pour rassurer la foule. Il fallut attendre que le sire de Montoison fasse de même pour qu'elle applaudisse à tout rompre et félicite la témérité des chevaliers aux cris de Noël ! Leur hypothétique querelle était oubliée dans le frisson qu'ils leur avaient donné.
Pour autant ils n'étaient pas indemnes. Marie de Dreux le devina en voyant la main de Laurent de Beaumont se porter à ses côtes et Philibert de Montoison boiter.
Sans hésiter, elle voulut quitter sa place. Son père s'interposa.
— Où cours-tu donc ? Ne te suffit-il pas que ce jouvenceau se soit donné en spectacle ? Je t'interdis d'agir de même.
Marie tiqua. Depuis qu'ils avaient appris la mort du Turc, son père agissait de curieuse manière. Regardant sans cesse par-dessus son épaule dès lors qu'ils sortaient de la demeure, il lui avait annoncé la veille que, contrairement à ses aspirations, il avait décidé de la marier au fils d'un de ses concurrents.
— Non qu'il soit de mes amis puisqu'en affaires personne ne l'est, mais sa moralité est sans tache et seul un drapier pourra me succéder le moment venu.
Marie s'était indignée. Elle refusait ce falot boutonneux et prétentieux. Elle désirait Laurent de Beaumont qui
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