Le Chant des sorcières tome 3
bouleversés tous deux à l'idée de se perdre encore. Algonde céda.
— Je te le promets. Habille-toi. Je partirai devant. Rejoins le groupe que dirige le Jeannot. Ça te disculpera. Ne t'inquiète pas. Je la ramènerai.
Il l'étreignit avec force dans ses bras.
— Son cœur n'est que vengeance. Méfie-toi.
*
Bonnemine sanglotait en pénétrant dans la chambre de Philippine, écrasée par une nuit trop courte et festive.
— Levez-vous, damoiselle, c'est grand malheur, oui grand malheur !
Philippine ouvrit un œil vitreux et glacial.
— C'est toi qui seras en grand malheur si tu ne cesses sur-le-champ de piailler.
La chambrière s'écarta aussitôt, davantage par la nécessité de moucher son nez violacé que par véritable crainte. Un détestable bruit de trompette couina dans la pénombre, suivi d'un trottinement en direction de la porte-fenêtre. Philippine soupira en recevant les rayons du soleil en pleine figure. Non, décidément, elle ne se rendormirait pas.
— Grand malheur. Oh oui ! Il était si beau, si plaisant…
Philippine s'adossa à ses oreillers. La migraine la tenait de trop peu de sommeil et la litanie de cette sotte lui donnait des envies de meurtre. Les réfrénant devant l'ampleur de son chagrin, Philippine la fixa durement, avant de retrouver en elle un reste de compassion.
— Que t'arrive-t-il donc ?
— À moi, rien, damoiselle. Oh non ! C'est à ce pauvre prince.
Le sang de Philippine se figea. Aux abois soudain, elle attendit que Bonnemine ait fini de se moucher une nouvelle fois.
— Djem? C'est du prince Djem que tu parles ?
— Et de qui d'autre ?
— Je l'ai quitté à l'aube et il riait autant que moi, lui assura la damoiselle.
— À l'aube peut-être, renifla Bonnemine en se signant, mais ce matin…
Fouettée d'inquiétude, Philippine s'arracha du lit pour la saisir méchamment au-dessus des coudes.
— Quoi ce matin ? Vas-tu me dire ce qu'il y a, oui, ou faut-il que je te batte ?
Surprise par sa soudaine véhémence, Bonnemine fondit plus encore en larmes.
— Il est empoisonné, voilà. Empoisonné, vous dis-je, un si grand et noble prince ! C'est pas justi…
Sa phrase se perdit dans les cheveux de Philippine qui venait de s'évanouir, vaincue de désespoir.
*
Djem l'était aussi au chevet de son frère de lait. Nassouh à ses côtés avait le chagrin discret. Seul un tressautement à son œil gauche trahissait la violence intérieure de sa déchirure.
Annoncé par un laquais dans la chambre de Djem, devenue funéraire, Guy de Blanchefort s'approcha du lit où Anwar était resté couché. La carafe empoisonnée avait disparu du chevet, emportée par un des apothicaires de la ville envoyé quérir en toute hâte. Il n'avait pu que constater la mort par empoisonnement. Le goûteur, sommé de s'expliquer, avait avoué s'être absenté un moment pour déféquer. Le prince festoyait encore avec ses compagnons, le sire de Montoison et Louis de Sassenage. Nul doute qu'on avait profité de cette absence pour agir. Qui ? Là restait la question. Le prévôt, réveillé de même, venait d'ouvrir enquête, mais personne n'avait rien remarqué. Lorsqu'il avait vu remonter le prince vers ses appartements, son esclave s'était rendu en cuisine. Le carafon préparé par l'échanson s'y trouvait sur un plateau. Il était bouché. Le goûteur était introuvable et l'homme s'était empressé de grimper l'escalier pour ne pas démériter auprès de son maître. Blanchefort avait obtenu de Djem, dont la première réaction avait été de lui trancher la gorge qu'il attende. On avait besoin de son témoignage et du détail de ses souvenirs pour confondre le meurtrier. Djem avait ravalé sa vengeance. Il n'avait voulu voir personne, se cloîtrant entre les murs de sa chambre où Anwar était resté. La porte fermée, et le prince invisible à son matinel, la rumeur s'était propagée, répandant une information tronquée que le prévôt s'était gardé de rectifier, offrant ainsi au coupable la joie de son forfait. Il serait plus facile à appâter, avait-il affirmé à Guy de Blanchefort.
Pour l'heure, le grand prieur se rapprocha du prince, assis dans l'ombre des rideaux qu'on avait rabattus devant la croisée. Les yeux fermés sur sa peine, il priait à mi-voix dans sa langue.
— Pardonnez-moi de vous déranger, Zizim…
Djem leva la tête. Le teint gris, les yeux veinés de rouge, les traits tirés, il était l'ombre de lui-même. Harassé
Weitere Kostenlose Bücher