Le Chant des sorcières tome 3
encore le cœur d'Algonde. Il fallait qu'elle sache. Ses relevailles étaient terminées. Elle devait se rendre au pigeonnier pour réduire l'œuf noir en poudre et en ingérer une partie. Que se passerait-il ensuite en elle ? Sa métamorphose serait-elle achevée ? Quel nouveau pouvoir coulerait en ses veines ? À quel profit l'utiliserait-elle ? celui de la prophétie ? le sien ? celui du mal ? De nouveau elle repoussa les draps, cette fois avec précaution. Si ce hurlement ne l'avait éveillée, sans doute aurait-elle attendu la nuit suivante pour se rendre là-bas. Mais à quoi bon reculer ? Elle portait en elle le lourd poids d'une malédiction, le moyen d'y mettre fin et de sauver le monde. À moins que ce ne fût de l'aliéner… Quoi qu'il en soit, la bécaroïlle de maître Janisse n'appartenait plus à Mathieu ni à Elora. Elle ne s'appartenait même plus à elle-même. Elle passa une capeline sur son vêtement de nuit, releva le loquet de la porte sans bruit et, la refermant sur elle, se glissa dans le corridor obscur. Au moment d'emprunter le double escalier, elle songea qu'elle était bien incapable de dire de quoi son devenir serait fait.
Deux heures plus tard, alors qu'il s'alanguissait dans des rêves délicieux, Mathieu quitta son côté pour étreindre son épouse. Il tâtonna, grimaça, perturbé dans son songe, avant de s'éveiller en sursaut et de pousser un soupir agacé. Il était seul dans le lit. La pénombre avait changé dans la pièce. L'aube était proche. Il s'assit. Algonde s'était absentée. D'un geste gourd, il froissa sa chevelure brune, aplatie par le bonnet qu'il ne retrouvait jamais au matin sur son crâne. Il était un peu tôt pour que la bécaroïlle ait pris son service auprès de Philippine, mais avec cette noblesse, il fallait s'attendre à tout. Quoi qu'il en soit, il rechigna à sortir du lit. Elora dormait encore. Il n'aimait pas qu'elle reste seule. À la merci peut-être des intentions sournoises de Marthe. Il laissa passer quelques minutes dans l'espoir qu'Algonde reviendrait puis, refusant d'être en retard pour sa première journée de travail, s'activa à s'habiller discrètement. Avant de partir, il ouvrit la porte de communication entre les deux appartements, afin qu'Algonde ou au pis-aller Philippine entendent la petiote si elle se mettait à pleurer, et sortit à regret de la chambre. Tout de même, pensa-t-il avec humeur, elle aurait pu le prévenir avant de s'en aller ! Son souvenir accrocha l'incident de la nuit et il fronça le sourcil tout en s'approchant du palier. Non, se rassura-t-il. Algonde n'aurait pas commis l'imprudence de résoudre cette énigme sans lui en parler.
Le silence s'appesantissait encore sur la vaste demeure. La noblesse dormait tard tandis qu'en cuisine et dans les communs le petit peuple s'attelait déjà à sa besogne. Mathieu descendit la volée de marches avant de s'immobiliser sur le palier du premier, surpris de se trouver nez à nez avec Marthe.
Ils se toisèrent tous deux avec suspicion.
— M'espionnerais-tu, le pesneux ? renifla-t-elle.
Mathieu avait de l'avance sur son horaire. Au fond, songea-t-il, cette rencontre fortuite servait la décision qu'il avait prise quelques semaines plus tôt.
— Dieu m'en garde ! Mais puisque vous voici j'aurais à vous parler.
— Me parler… vraiment… N'est-ce point plutôt ton vit qui te démange ? se moqua-t-elle en lui empoignant l'entrejambe.
Mathieu déglutit. Il eût préféré cent fois oublier ce qui s'était passé dans le champ clos de Sassenage, lorsque cette diablesse l'avait contraint par sa magie malgré le dégoût qu'elle lui inspirait. Cette fois encore… Elle passa une langue gourmande sur ses lèvres, les yeux rétrécis de perversité dans ses orbites saillantes. Au grand désespoir de Mathieu, la toile de son pantalon se gonfla sous les griffes. Comment une telle chose était-elle possible ? Il eût préféré mourir que revivre ça ! Il déglutit.
— Ce n'est pas de mon fait, sorcière. Tu sais que je ne le veux pas. Elle rit méchamment avant de retirer ses doigts.
— Suis-moi, dit-elle.
— Pour parler seulement… se défendit-il en lui emboîtant le pas dans le corridor qui desservait les pièces du premier.
L'instant d'après, Marthe ouvrait une porte basse dans un renfoncement. À l'intérieur du réduit, l'obscurité était totale. Marthe le poussa d'une chiquenaude à l'épaule.
— Entre, pesneux. Ici on ne nous
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