Le Chant des sorcières tome 3

situation. Revenir en arrière. Elles avaient dû se croiser, Marthe et elle. Forcément, cette nuit-là, où l'une se dirigeait vers l'abbaye et l'autre la quittait avec pour seule lumière… une chandelle ? une bougie ? un rat-de-cave ? Aymar ne se souvenait pas d'avoir constaté la disparition d'une torche au mur de la crypte. Or donc, quelque chose facile à moucher en entendant des pas. Jeanne avait-elle tenté d'échapper à Marthe ? Si c'était le cas, l'obscurité faite, elle avait dû raser les murs pour garder un quelconque repère. À dextre. Forcément. Décidé, il enfila résolument le couloir qui, sur le côté, prolongeait le mur du précédent.
    *
    Remise de sa stupeur, Philippine se précipita dans la chambre d'Algonde. Penchée au-dessus du lit, celle-ci terminait d'habiller Elora qui gazouillait de bonheur.
    En quelques mots, Philippine lui résuma la situation et les insinuations de Philibert quant à sa mère.
    — Je ne peux les croire et pourtant il faudra bien que père m'explique les raisons qui l'ont poussé à céder.
    — Difficile ce jourd'hui…
    Le visage de Philippine se rembrunit plus encore, quand elle se faisait une joie à son réveil d'accompagner Djem au village d'Auberives-en-Royans. Vantant sans relâche les chevaux hors du commun d'un éleveur de cette bourgade, Louis avait fini par convaincre le prince de se rendre sur place pour en juger. Jacques de Sassenage avait proposé un pique-nique au bord de la rivière. Tous au château, Marthe y comprise, étaient en ce moment même occupés à s'apprêter pour la circonstance.
    — Qu'importe, je trouverai bien chemin faisant l'occasion d'isoler mon père quelques minutes pour en parler, décida Philippine en se rongeant l'ongle du pouce.
    Un frisson la cueillit.
    La veille, comme chaque soir au terme de journées festives, Djem et Philippine avaient échangé secrètement une tendre missive par l'intermédiaire de Nassouh et d'Algonde.
    Après l'avoir couverte de compliments et avoir réaffirmé son attachement, le prince lui avait raconté sa conversation avec Guy de Blanchefort et les conclusions qu'ils en avaient tirées.
    Gardez l'espoir, mon aimée. Ma terre est vôtre désormais. Je ne veux pas croire que nos dieux, appelés à s'unir, refusent ce que nos cœurs attendent en secret , avait-il conclu avant de cacheter.
    Trois semaines, c'était bien trop court pour espérer une réponse du grand maître de l'ordre des Hospitaliers.
    — Viens, dit-elle tandis qu'Algonde confiait de nouveau Elora à sa nourrice, il faut m'habiller. Si ce rat de Montoison se figure que je serai son épousée à la fin du mois, il peut toujours se pendre. Personne ne me forcera, tu entends ? Algonde. Personne ! Et certainement pas un fantôme du passé.
    *
    Le cœur d'Aymar bondit dans sa poitrine à l'instant où, au pied de la cinquantaine de marches qui marquaient la fin du boyau, les flammes de sa torche accrochèrent un bougeoir renversé. Il se précipita pour le ramasser. Il avait vu juste. Jeanne était passée par là. L'avait-elle abandonné avant de sortir ? Un instant il fut tenté d'actionner le mécanisme pour vérifier l'endroit où il se trouvait, mais il jugea l'affaire trop risquée. Et si, jouant de malchance, c'était dans la chambre de Marthe qu'il se retrouvait projeté ? Comme Jeanne cette nuit-là ? Un frisson lui glissa le long de l'échine. « Si près du but », songea-t-il. Elle se trouvait si près du but. Refusant de se laisser gagner par cette absurdité, il s'agenouilla pour balayer le sol de la lueur mouvante de sa torche. Des empreintes avaient maculé la poussière.
    Recouvrant d'instinct ses aptitudes de guerrier, il eut tôt fait de déduire ce qui s'était passé et de revenir en arrière. Cette fois, plus de doute. Raclant le sol de l'extrémité d'une bougie pour y imprimer une trace brillante tandis qu'on la traînait, Jeanne de Commiers avait tissé un fil d'Ariane dans l'espoir que quelqu'un le suivrait.
     

22
    Ce fut la puanteur qui en dernier lieu guida ses pas. Jamais sinon il n'aurait remarqué cette ouverture à hauteur de genoux dans le mur dextre du souterrain. Un peu plus avant, les traces de cire s'étaient arrêtées dans le sang. Celui, vraisemblablement, des doigts de Jeanne raclant le dernier morceau de chandelle. Aymar en avait découvert un fragment rougi.
    Il s'agenouilla devant l'excavation, en reniflant à la manière d'un fauve. Il s'en sentait l'ardeur, le courage