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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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à leur tour. Augereau s’obstine quelques instants de plus.
    Lui dire par le regard : « Vos cinq pieds six pouces ne vous empêcheraient pas d’être fusillé sur l’heure. » Et se sentir décidé et prêt à le faire. C’est cela, commander.
    Augereau détourne les yeux.
    Les généraux sortent. Napoléon entend Masséna qui s’exclame : « Ce petit bougre de général, il croit vous écraser au premier coup d’oeil, il croit faire peur. »
    Je les écrase.
    Napoléon s’installe à sa table de travail, face à la baie. Commander, c’est aussi écrire, parce que les mots sont des actes.
     
    « Vous ne vous faites pas une idée de la situation administrative et militaire de l’armée, écrit-il au Directoire. Elle est travaillée par des esprits malveillants. Elle est sans pain, sans discipline, sans subordination… Des administrateurs avides nous mettent dans un dénuement absolu de tout… Une somme de six cent mille livres annoncée n’est pas arrivée. »
    Il interrompt sa lettre.
    Ce commandement en chef, dans ces conditions, avec rassemblés au Piémont et en Lombardie près de soixante-dix mille Austro-Sardes, c’est la première grande épreuve.
    Si je suis ce que je sens être, alors ce sera la victoire, un nouveau degré franchi. Vers quoi ? Vers plus. Il n’y a, une fois encore, aucun autre choix qu’avancer, faire avec ce dont on dispose.
    Il reprend la plume : « Ici, écrit-il, il faut brûler, faire fusiller. »
    Puis il ajoute, écrasant sa plume, traçant des lettres aux jambages forts : « Malgré tout cela, nous irons. »
     
    Au travail. Agir. Agir.
    Napoléon n’attend même pas que Berthier, le nouvel aide de camp, se soit installé : il dicte. Il a l’impression de lire un texte qui se déroule devant ses yeux. C’est comme si la pensée devenait mots sans même avoir eu besoin d’être formulée avant dans la tête.
    Ici, il faut un atelier de cent ouvriers, pour l’artillerie et les armes. Partout il faut veiller à la distribution de viande fraîche tous les deux jours. Là, les sommes détenues par les Commissaires des Guerres doivent être versées dans les caisses de l’armée. Il ne faut pas diminuer les rations des hommes et des chevaux sans autorisation expresse. Que le général Berthier signale les officiers et les hommes qui se sont distingués.
    Napoléon s’arrête de marcher. Tout à coup il paraît pensif.
    — Du triomphe à la chute, il n’y a qu’un pas, dit-il. Un rien a toujours décidé des plus grands événements.
    Puis il s’approche d’une table sur laquelle des cartes et des plans ont été dépliés.
    — Prudence, sagesse, murmure-t-il, ce n’est qu’avec beaucoup de dextérité que l’on parvient à de grands buts et que l’on surmonte tous les obstacles, autrement on ne réussira en rien.
    Il regarde Berthier, qui s’est avancé.
    — Ma résolution est prise, dit Napoléon.
    Il suit du doigt les axes qu’il a choisis pour les attaques.
    Une nuit entière de veille pour parvenir à ce tracé. Une nuit pendant laquelle il a grossi « tous les dangers et tous les maux possibles », une nuit d’agitation pénible. Et maintenant, tout est oublié, et ne reste que ce qui doit être fait pour que l’entreprise réussisse.
    Il garde son doigt sur la carte, le bras tendu, figé, alors qu’en lui une excitation aussi vive que celle qu’il ressentait lorsqu’il résolvait un problème de mathématiques semble faire trembler chaque partie de son corps, mais rien n’en transparaît.
    Il va vers la fenêtre.
    — Le secret des grandes batailles consiste à savoir s’étendre et se concentrer à propos, dit-il sans regarder Berthier.
    En le congédiant, il murmure :
    — Ce sont les axes qui doivent servir à tracer la courbe.
     
    Tout à coup, la fatigue, l’épuisement, cette nuit qui tombe, fraîche, la solitude, cette impossibilité de dormir parce que la pensée continue de tourner vite, emportée par son élan. Le plaisir seul, dans la confiance que donne un corps offert, pourrait, quelques instants, apaiser cette sarabande de questions qu’il faut faire sortir de soi, écrire à Joséphine : « Qu’est-ce que l’avenir ? Qu’est-ce que le passé ? Qu’est-ce que nous ? Quel fluide magique nous environne et nous cache les choses qu’il nous importe le plus de connaître ? »
    Désir d’elle, si dure l’absence ! Pourquoi cette vie divisée ? « Un jour tu ne m’aimeras plus ; dis-le-moi. Je saurai du moins mériter le

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