Le chant du départ
reçus.
Napoléon les fait attendre, parce qu’il faut que ces deux « Messieurs », deux nobles élégants et raides, le général comte de Merveldt et le comte de Beauregard, comprennent qu’ils ne sont pas les maîtres de la négociation.
À les imaginer qui s’impatientent malgré leur impassibilité, Napoléon éprouve le plaisir du joueur qui anticipe de plusieurs coups la marche de la partie. Il a appris, il apprend, à mettre ainsi les hommes, fussent-ils les plus avertis, dans une situation de déséquilibre. Tout compte, dans cette lutte d’homme à homme, de pouvoir à pouvoir, qu’est une discussion.
Il veut obtenir que l’Autriche renonce à la Belgique et à la rive gauche du Rhin. Il lui proposera en échange la Vénétie, qu’il ne contrôle pas encore, mais il suffira d’un prétexte pour renverser le pouvoir du Doge. La France conservera les îles Ioniennes.
Ces propositions devront demeurer secrètes. Que penseraient les Vénitiens ? Comment jugeraient les Directeurs qui ont déjà fait savoir qu’il fallait céder à l’Autriche, si elle négociait, la Lombardie ?
Napoléon entre d’un pas lent dans la pièce au plafond bas où se tiennent les deux plénipotentiaires. Il va gagner, puisqu’il sait ce qu’il veut. Ce qui fait la force d’un homme, général ou chef d’État, c’est de voir plus loin, plus vite que ses adversaires.
Le 18 avril, les Préliminaires de Leoben sont signés entre Napoléon et les envoyés de Vienne.
J’ai poussé ma pièce .
Une nuit d’insomnie à nouveau.
Il faut jouer sur toutes les cases. Faire partir un courrier pour le Directoire, avec le texte des Préliminaires, et menacer sur un ton modeste de démissionner si les Préliminaires ne sont pas acceptés. Trouver les mots pour contraindre ces hommes à ne pas refuser, même s’ils ne croient à aucune des phrases qu’ils lisent. Les enfermer dans la nasse. Et ne pas prêter le flanc à la critique. Il appelle un aide de camp, il dicte.
« Quant à moi, je vous demande du repos. J’ai justifié la confiance dont vous m’avez investi… et acquis plus de gloire qu’il n’en faut pour être heureux… La calomnie s’efforcera en vain de me prêter des intentions perfides, ma carrière civile sera comme ma carrière militaire une et simple. Cependant vous devez sentir que je dois sortir d’Italie et je vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des Préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux affaires d’Italie, et un congé pour me rendre en France. »
Du repos ?
Qu’est-ce que le repos ?
Durant cette nuit du 19 avril 1797, des officiers essoufflés, le visage tiré par la fatigue, pénètrent dans le quartier général. D’un regard, Napoléon les arrête. Commander, c’est tenir à distance respectueuse.
— Quatre cents…, commence l’un.
Quatre cents soldats français, le plus souvent des blessés immobilisés dans leurs lits d’hôpital, ont été tués, égorgés, poignardés, sabrés à Vérone, par des bandes de paysans.
À Venise, un bateau français en rade du Lido a été attaqué, son capitaine tué.
Napoléon congédie les officiers. La vengeance est nécessaire à l’ordre. À la violence il faut répondre par une violence plus grande encore. Il a appris cette loi dans son enfance, à Brienne, à l’École Militaire, à Ajaccio, dans ses premiers commandements, ses premières batailles.
Mais on peut aussi utiliser la vengeance nécessaire comme prétexte à une action déjà décidée. Si l’adversaire se découvre et n’a pas vu l’attaque qui le menace, tant pis pour lui. Il faut frapper vite et fort.
« Croyez-vous, écrit Napoléon au Doge de Venise, que mes légions d’Italie souffriront le massacre que vous excitez ? Le sang de mes frères d’armes sera vengé. »
La répression impitoyable s’abat sur les massacreurs de Vérone, et les troupes françaises entrent à Venise. C’en est fini de la République de Venise, vieille de treize siècles d’histoire indépendante. Elle va pouvoir être livrée à l’Autriche en échange de la rive gauche du Rhin et de la Belgique, et le Directoire approuve, après de longs débats, ces Préliminaires de Leoben.
Je dessine la nouvelle carte de l’Europe .
Quelques jours plus tard, Napoléon décachette le premier courrier que lui adresse de Paris son aide de camp Lavalette :
« Tous, mon cher général, ont les yeux fixés sur vous.
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