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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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deux ou trois heures ont-elles passé que Napoléon donne l’ordre du départ.
     
    Il traverse cet enfer de chaleur dans lequel les hommes se traînent. Il voit des soldats s’effondrer, d’autres qui s’écartent sont décapités par les Bédouins qui brandissent leur tête puis s’enfuient. On brûle des villages. On pille. Enfin on atteint Embabeh, à deux heures de l’après-midi, le 21 juillet, après une marche harassante. La chaleur est intense. Au loin, à droite, Napoléon aperçoit les pyramides, et à gauche, les minarets et les dômes du Caire.
    Il reste d’abord seul, figé, le regard allant des pyramides aux minarets, puis au Nil. Ici, il est dans le berceau même de l’Histoire. Il se souvient de ses nuits à Valence, lorsqu’il lisait fiévreusement les livres racontant les exploits antiques ou évoquant l’histoire de ces peuples fondateurs.
    Il est là, non pas voyageur comme le fut Volney, comme tant d’autres qui l’ont fait rêver, mais conquérant.
    Il appelle les généraux. Ils se rassemblent autour de lui. Les divisions formeront le carré, commence-t-il. Mais cependant qu’il parle, il sent qu’il faudrait donner à ces hommes la conscience du moment qu’ils vivent.
    — Allez, dit-il enfin, et pensez que du haut de ces monuments – il montre les pyramides – quarante siècles vous observent.
     
    Il voit les premières charges mamelouks s’émietter sur les carrés. Il voit les divisions se mettre en mouvement pour couper les Mamelouks des fortifications d’Embabeh. Il entend les canons qui tirent à la mitraille, puis les cris des soldats qui prennent d’assaut les fortifications.
    Il imagine le carnage. Il voit les soldats se précipiter sur les cadavres des Mamelouks et les dépouiller. Là, dans un duel solitaire, un lieutenant français affronte un Mamelouk à grands coups de sabre. Ici, les Mamelouks se jettent dans le Nil et fuient.
    C’est la victoire. Il passe à cheval près des fourgons de Mourad Bey que fouillent les soldats. Il voit des soldats qui repêchent avec leur baïonnette afin de les dévaliser les cadavres des Mamelouks que le courant emporte. Puis, tout à coup, la nuit tombe.
    Il marche seul. Il a vaincu. Ici, sous le regard des siècles. Il regarde au loin la ville du Caire éclairée par les incendies que des pillards bédouins ou fellahs ont allumés. Les Mamelouks ont mis le feu à plus de trois cents navires. Le ciel est embrasé, et les pyramides surgissent de la nuit, rouges.
    Couleur du sang.
    Il se sent las.
     
    Il ne rentre pas encore au Caire. Il attend sans impatience, comme si, cette victoire acquise, il se trouvait devant un vide. Il pénètre dans la maison de campagne de Mourad Bey à Gizeh. Il parcourt les vastes pièces meublées de divans recouverts de soieries lyonnaises bordées de franges de fil d’or. Il se promène seul dans le jardin parmi les arbres d’essences diverses, il s’assied sous une tonnelle couverte de vignes aux grappes abondantes et lourdes.
    La solitude lui pèse.
    Après l’impatience, les marches forcées, toute cette tension, il est saisi par la mélancolie. Il pense à Joséphine. Il appelle Junot. Il a besoin de parler d’elle, de se rassurer, parce que la jalousie revient, qu’il doute, qu’il veut à la fois qu’on l’éclaire et qu’on le laisse dans son aveuglement. Mais Junot s’exclame. Il est temps, en cette soirée de victoire, d’affronter la vérité. Un vainqueur comme le général Bonaparte peut-il accepter d’être trompé ?
    Napoléon bondit. Il revoit tout à coup cet officier, un jeune homme que les Arabes avaient capturé sur la route du Caire et que ses ravisseurs se proposaient de libérer contre une rançon. Il avait refusé. Et les Arabes l’avaient immédiatement abattu d’une balle dans la tête. Napoléon avait regardé, puis avait continué sa route. On ne pouvait pas céder ainsi au chantage. Il est cet officier dont on vient de s’emparer. Junot, en parlant, lui brûle la cervelle. Joséphine l’a trahi, dit-il, et il énumère les noms des amants qu’elle a affichés aux yeux de tous. Bonaparte ne se doutait-il de rien ?
    Napoléon renvoie Junot, reste longtemps dans le jardin. Puis la fureur le gagne, il rentre dans la maison, renverse les bibelots, se heurte à Bourrienne qui accourt. Il le regarde. On ne peut faire confiance à personne. On est seul. « Vous ne m’êtes point attaché, crie-t-il. Les femmes… »
    Le souffle lui manque. Il dit

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