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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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inutiles.
    Il jette les journaux sur le sol.
    — Les misérables, est-il possible ! Pauvre France ! Qu’ont-ils fait ! s’exclame-t-il. Ah, les jean-foutre !
    Il ne peut plus dormir. Il faut quitter l’Égypte, vite.
     
    15 août 1799 : c’est le jour de ses trente ans. Une étape de sa vie se termine. Assise en face de lui, Pauline Fourès bavarde, insouciante, en tunique de hussard et bottes, ses cheveux longs et blonds dénoués.
    Elle ne sait pas. Il faut que personne, à l’exception des quelques hommes qui vont l’accompagner, ne se doute de son départ.
    Il fait mine d’écouter Bellilote. Elle évoque l’avenir. Quand se décidera-t-il à divorcer ? Elle est libre. Il lui a promis ou laissé entendre qu’il l’épouserait. Elle dit cela gaiement, sans hargne. Il hoche la tête. « Ma maîtresse, c’est le pouvoir. Ma seule passion, ma seule maîtresse, c’est la France. Je couche avec elle. » Et il n’a fait de promesse qu’à lui-même : être tout ce qu’il veut être. Tout ce qu’il sent pouvoir être.
    Mais, pour cela, il faut qu’il dissimule, qu’il continue à paraître, qu’on ne devine pas qu’il est déjà loin, ailleurs, en France, à Paris, s’imposant à tous les bavards, les impuissants, les incapables, les corrompus du Directoire.
     
    Comme à l’habitude, il se rend devant les notables du Divan. Il les salue comme un musulman. Il fait avec eux la prière. Il dit : « N’est-il pas vrai qu’il est écrit dans vos livres qu’un être supérieur arrivera d’Occident, chargé de continuer l’oeuvre du Prophète ? N’est-il pas vrai qu’il est encore écrit que cet homme, ce délégué de Mahomet, c’est moi ? »
    Ils n’osent pas protester. La victoire qu’il vient de remporter les a stupéfaits, anéantis. Ils sont soumis.
    Napoléon s’enferme dans son palais, commence à rédiger les instructions qu’il laissera à Kléber, qu’il a choisi comme successeur. Il écrit sans relâche, des heures durant, expliquant les moyens qu’il faut utiliser pour gouverner l’Égypte. Mais si la situation devenait critique, du fait de la peste ou du manque de renforts envoyés par la France, « vous serez autorisés à conclure la paix avec la porte ottomane, quand même l’évacuation de l’Égypte devrait être la condition principale ».
    Il pose la plume.
    L’Égypte ne le concerne plus.
     
    Souvent, pendant qu’il dicte un ordre, annonce qu’il va se rendre dans le delta pour une inspection, ce qui donnera le change, il s’interroge. Qui partira avec lui ? Il n’a besoin que d’hommes sûrs, dévoués corps et âme, efficaces. C’est cela qui est indispensable à un chef. Donc, ses aides de camp ; donc, sa garde personnelle. « Trois cents hommes d’élite, pense-t-il, sont une chose immense. » Bourrienne, confident et bon secrétaire, l’accompagnera comme les généraux Berthier, un chef d’état-major irremplaçable, Murat, Marmont, Andréossy, Bessières. Ils sont jeunes, fougueux, fidèles. C’est la fidélité qui compte d’abord. Il pense à Roustam Raza, ce Mamelouk que le sultan El Bekri lui a offert au retour de sa campagne de Syrie et qui, depuis, a manifesté l’attachement et la discrétion d’un esclave. Il faut un chef à un homme de cette sorte, qui n’ignore rien, peut voir et entendre le plus intime et sait le taire. Roustam viendra. Comme Monge et Berthollet, Vivant Denon, qui ont montré du courage et de la fidélité, et qui témoigneront devant l’Institut des découvertes accomplies.
    Personne d’autre.
    Il voit entrer Pauline Fourès. Elle ne devine pas. Et il ne dit rien. Elle fut un moment de sa vie. Il a été généreux avec elle et il le sera encore s’ils se retrouvent. Mais il s’agit de son destin à lui, plus grand que le destin de tous les autres, et devant lequel il doit être sans faiblesse.
    Le 17 août enfin, dans l’après-midi, le courrier de l’amiral Ganteaume arrive. La flotte anglaise a quitté les abords de la côte d’Égypte, sans doute pour aller s’approvisionner en eau à Chypre. Pour quelques jours, la sortie du port d’Alexandrie est possible.
    Ne pas attendre. Décider dans l’instant. Avertir ceux qui sont du voyage. Donner les ordres.
    S’approcher de Pauline Fourès, l’embrasser, lui donner mille louis et s’éloigner aussitôt, vite. Chevaucher jusqu’à Boulaq et, de là, jusqu’à Alexandrie, et attendre sur la plage que la nuit tombe.
    Il a trente ans. Voici qu’à

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