Le chant du départ
camp, Le Marois, Napoléon se précipite. Il a déjà remis à Joséphine la petite bague de saphir qui tient lieu d’anneau nuptial. À l’intérieur sont gravés les mots « Au Destin ».
Il est dix heures quand il arrive à la mairie. Il gravit les marches en courant.
Ils sont tous là à l’attendre. Le maire Le Clerq somnole à la lumière des bougies.
Napoléon le secoue. La cérémonie commence, brève. Joséphine murmure son accord. Oui, dit Napoléon d’une voix sonore.
Puis il entraîne Joséphine.
Elle est à lui pour deux nuits.
Le 11 mars, en compagnie de son frère Louis, de Junot et de l’ordonnateur Chauvet, Napoléon part pour le quartier général de l’armée d’Italie.
Joséphine se tient sur le perron. Il lui fait un signe. Elle est à moi.
Comme l’Italie le sera .
Sixième partie
Je voyais le monde fuir sous moi…
27 mars 1796 – 5 décembre 1797
21.
Dans la voiture de poste, Napoléon se tait. Aux relais, d’un signe, il réclame à Junot du papier et de l’encre, une plume et s’éloigne de la salle où l’on servira le dîner.
Il s’installe à une petite table. Il écrit.
Cette séparation d’avec Joséphine est un arrachement. Il a besoin d’elle. Il voudrait son corps près du sien. Il se révolte devant ce qu’il ressent comme une mutilation.
Il veut tout posséder.
Elle et le commandement en chef de l’armée d’Italie.
Pourquoi faut-il qu’aller vers l’un se paie de l’éloignement de l’autre ? Stupide, injuste, inacceptable.
Et ce voyage vers Nice n’en finit pas ! L’arrivée n’est prévue qu’à la fin mars ! La voiture s’arrête à Fontainebleau, à Sens, à Troyes, à Châtillon, à Chanceaux, à Lyon, à Valence. Il séjournera deux jours à Marseille afin de revoir sa mère.
À chaque étape, la tentation le prend de repartir vers Paris, d’arracher Joséphine à son boudoir, à ses amis, de la contraindre à le suivre.
Ce n’est pas encore le moment. Plus tard, elle viendra. Il a d’abord une tâche à accomplir, difficile. Car l’armée d’Italie est la plus démunie des armées de la République. Elle ne doit jouer qu’un rôle mineur, fixer une partie des troupes autrichiennes afin que les grandes armées du Rhin, bien pourvues, celles des généraux Moreau ou Pichegru, remportent contre Vienne la victoire décisive.
Vaincre, avec ces trente mille soldats de l’armée d’Italie, c’est un défi qu’il doit relever, et à cette pensée il devient fébrile. Il se sent soulevé comme s’il était porté par une vague.
Il appelle Junot, demande le document que Carnot lui a remis le 6 mars, cette Instruction pour le général en chef de l’armée d’Italie . Il la parcourt une nouvelle fois. Il reconnaît les idées qu’il a si souvent exposées à Augustin Robespierre, à Doulcet de Pontécoulant, à Carnot lui-même : « L’attaque unique du Piémont ne remplirait pas le but que le Directoire exécutif doit se proposer, celui de chasser les Autrichiens de l’Italie et d’amener le plus tôt possible une paix glorieuse et durable… Le général en chef ne doit pas perdre de vue que c’est aux Autrichiens qu’il importe de nuire principalement. »
Il ne peut relire les quelques lignes de conclusion sans ricaner : « Le Directoire insistera avant de terminer la présente Instruction sur la nécessité de faire subsister l’armée d’Italie dans et par les pays ennemis, et de lui fournir, au moyen des ressources que lui présenteront les localités, tous les objets dont elle peut avoir besoin. Il fera lever de fortes contributions, dont la moitié sera versée dans les caisses destinées à payer en numéraire le prêt et la solde de l’armée. »
Prendre tout ce que l’on peut aux Italiens, arracher par la force tout ce que l’on veut : voilà le sens de l’ Instruction . Et avec le butin nourrir, payer, armer les soldats, et remplir les caisses du Directoire.
Soit. Telle est la guerre. Tel est le pouvoir des armes.
Il replie la directive. Et c’est aussitôt comme s’il glissait de la crête au creux de la vague, de l’exaltation à l’abattement.
Il reprend la plume. Il voit Joséphine.
« Je t’ai écrit hier de Châtillon… Chaque instant m’éloigne de toi, adorable amie, et à chaque instant je trouve moins de force pour supporter d’être éloigné de toi. Tu es l’objet perpétuel de ma pensée ; mon imagination s’épuise à chercher ce que tu fais. Si je te vois triste,
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