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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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qu’on mette les patriotes en liberté, que nos sections se déclarent en permanence !
    — Soit, dit Delormel, surpris par les revendications du gaillard. Au président de décider.
    Il leva les yeux vers Boissy d’Anglas qui se taisait.
    — Il est usé, ce président!
    — Un autre ! un autre !
    Les parlotes allaient s’éterniser, pensait Delormel, mais les sans-culottes se lasseraient. Ils voulaient des promesses? Pourquoi pas. Réfléchissant ainsi, il remarqua Tallien qui passait l’arche de la porte pour sortir.
    Peu avant l’assaut des Tuileries, le Comité de sûreté générale avait fait évacuer par prudence les muscadins; ils excitaient trop la haine des émeutiers qui les auraient massacrés. Ils se prélassaient donc au bout des jardins, étendus sur le gazon à l’ombre des arbres, entre les plates-bandes. On leur avait distribué de l’argent et des fusils en consignant leurs noms et leurs adresses dans un registre de police ; les plus méfiants avaient refusé de figurer sur cette liste, dont Saint-Aubin et son ami Dussault; ils se contentaient de regarder un lieutenant de gendarmerie expliquer aux volontaires le maniement du fusil, car beaucoup n’avaient jamais tiré un coup de feu. Saint-Aubin s’amusait de la mine exaspérée du lieutenant face à des recrues qui préféraient les mots aux armes.
    — La charge du fusil se fait en douze temps...
    — Douze ? Pourquoi douze? demanda un muscadin aux cheveux montés en chignon.
    — Parce que c’est le règlement ! Je reprends. Ouvrez le bassinet...
    — Le quoi ?
    — Ici, bougre de péquin !
    — J’ouvre. Hé! j’ai failli me casser un ongle.
    — Prenez une cartouche...
    — Où diantre ? dit un autre élégant.
    — Dans la giberne.
    — Je ne vois pas...
    — Elle est vide, la giberne qu’on vous a remise ?
    — Ah non... Mais sa lanière déforme ma redingote.
    — Qu’est-ce qu’il y a dans votre giberne ? disait l’officier cramoisi.
    — Deux paquets en papier.
    — Eh bien ce sont vos cartouches, nigaud ! Deux paquets de quinze cartouches !
    — Ne criez pas, lieutenant...
    — Prenez une cartouche, déchirez-la...
    — Je n’ai pas de couteau, se lamentait un maigrichon en habit vert.
    — Moi non plus, lieutenant.
    — Avec les dents !
    — Mais nous aurons de la poudre plein la bouche.
    — Quel affreux parfum, lieutenant!
    Tallien s’avançait dans l’allée en agitant les bras. Il avait rendu compte aux Comités et venait prévenir les deux cents jeunes embrigadés :
    — Les émeutiers dictent leur loi ! Ils ont amené les canons de leurs sections! Ils ont assassiné le député Féraud et terrorisent l’Assemblée!
    — Féraud...
    — Le représentant des Pyrénées. Ils l’ont confondu avec Fréron.
    — Allons leur briser les reins, proposa Saint-Aubin en se levant d’un bond.
    — Non non ! Du calme ! disait Tallien.
    — Les Comités refusent de nous utiliser ?
    — Il faut attendre le moment opportun, expliquait Tallien. Votre heure viendra.
    — Elle tarde à venir, notre heure, Monsieur Tallien.
    — Si on ne veut pas de nous, je vais dîner, dit Saint-Aubin en faisant claquer son fouet de poste qui décapita une rangée de roses.
    — Bien parlé, dit le muscadin Davenne, mais les restaurants doivent être fermés...
    — Pas tous, affirmait Dussault. J’ai traversé notre Palais-Royal, ce matin, et Beauvilliers s’apprêtait à ouvrir ses salles.
    — Allons chez Beauvilliers, décida Saint-Aubin.
    Ils partirent à trente se payer un festin avec l’argent du Comité de sûreté générale, firent un détour pour éviter le palais d’où sortaient des hurlements, croisèrent plusieurs patrouilles de la garde nationale et les saluèrent, débarquèrent enfin sous les arcades de la galerie de Valois et s’attablèrent chez Beauvilliers.
    — Rien avalé depuis l’aube, dit Dussault.
    — Mon cher, dit Saint-Aubin, j’ai moi-même une sorte de creux dans l’estomac.
    On leur donna la carte dînatoire, récemment inventée, une feuille où les plats proposés étaient écrits les uns à la suite des autres. Cela faisait grogner les gourmands qui commandaient un poulet, comme à l’auberge, mais ne voyaient venir qu’une aile, ou une cuisse, et s’estimaient floués.
    — Buyaudière... De quoi s’agit-il ?
    — C'est un plat bourguignon, Monsieur Saint-Aubin, expliqua le maître d’hôtel. Il consiste en morceaux de bœuf bouilli que l’on fait frire à la poêle dans de la graisse

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