Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
d’oie, avec des oignons émincés, du sel, du poivre, du vinaigre...
    — Va pour la buyaudière!
    — Moi aussi, cela doit tenir au ventre.
    — Même chose pour moi.
    — Et du bourgogne, un tonneau de bourgogne.
    Ils commencèrent à boire à la mémoire du député Féraud, puis à la santé de Fréron. Dussault proposa qu’ils rédigent ensemble un article vengeur que Fréron signerait le lendemain.
    — Messieurs, soyons théâtraux comme à la tribune, commencons par O Féraud .
    — Cela va de soi.
    — Il faut qu’on sache très vite que Fréron seul était visé par le meurtrier.
    — Bien sûr.
    — O Féraud, la confusion de nos deux noms m’associe à ton trépas ...
    — Voilà qui sonne bien.
    — J’ajouterai illustre avant trépas.
    — Oui, il faut magnifier Féraud.
    — J’aimerais ensuite le mot barbares pour qualifier les buveurs de sang.
    — Cannibales irait mieux.
    — Déclamons, pour l’oreille : Les cannibales ont cru prendre ma tête en prenant la sienne...
    — Non, la tienne . Fréron s’adresse à Féraud. C'est le genre qu’il faut tenir.
    Dans la galerie, sous le restaurant Beauvilliers, des gens passaient en courant et appelaient aux armes. Saint-Aubin et Dussault se mirent à la fenêtre de leur salle, au premier étage :
    — Qu’y a-t-il de neuf?
    — Le serrurier qui a assassiné Féraud...
    — Il a été arrêté, nous l’avons appris.
    — La canaille l’a libéré et le porte en triomphe !
    — Nous retournons aux Tuileries, Saint-Aubin ? demanda Dussault.
    — Vous autres, si cela vous chante.
    — Cette nuit encore, les haines vont fermenter.
    — Et les Comités se moquent de nous, nous lanternons dans les jardins, nous espérons un ordre d’attaque qui ne vient jamais. Moi je vais dormir.
    Après une courte nuit dans les bras de Madame Delormel, qui s’inquiétait de son mari retenu à la Convention au milieu des périls, Saint-Aubin mit des bottes à l’écuyère, choisit une redingote plus ample et à peu près classique, prit une canne plombée dans son coffre, laissa une Rosalie enfin assoupie mais qu’agitaient des rêves pénibles. Sous le bandeau noir, son œil restait douloureux et il avait mauvaise conscience d’avoir quitté ses amis, la veille au soir, d’une façon si cavalière. Il descendit à pied vers le Palais-Royal, côtoya rue Vivienne les dragons poussiéreux cantonnés aux environs de Paris et qui rentraient en force. Les jardins et les galeries reprenaient leur allure habituelle, l’effervescence des jours de paix, car l’émeute paraissait ce matin confinée dans les faubourgs. Aux Tuileries, des troupes de ligne bivouaquaient sur les terrasses. Saint-Aubin retrouva les muscadins, dont le nombre avait augmenté pendant la nuit, disposés à l’entrée de l’hôtel de Brionne et sous les fenêtres du Comité de salut public. Les jeunes gens causaient avec violence :
    — Terminons-en avec ces pouilleux de jacobins !
    — Qu’on les bascule dans la Seine!
    — On nous a donné des armes, qu’elles servent!
    Saint-Aubin avisa un muscadin au bicorne imposant ; celui-ci tenait son fusil comme un parapluie et raconta comment les émeutiers avaient été refoulés dès la nuit et comment il avait participé, avec son groupe, au nettoyage de l’Assemblée si longtemps envahie. A dire vrai : il ne restait plus grand nombre de braillards et c’était un plaisir de les chasser à coups de crosse. Une voix connue, derrière Saint-Aubin : « Il s’agissait bien d’un nettoyage ! »
    Le gros Delormel sortait du Comité, les traits tirés mais heureux du rôle qu’il disait avoir tenu à l’Assemblée. Il poussa Saint-Aubin à l’écart :
    — La Convention l’a emporté.
    — Comment pouvez-vous en être assuré?
    — Tu as vu ce régiment ?
    Il montrait la terrasse des Feuillants occupée par les hommes du général Kilmaine.
    — J’ai vu des dragons rue Vivienne...
    — Les trois mille cavaliers de Montchoisy. Eh bien nous allons nourrir et payer tous ces garçons pour qu’ils nous aiment, ne restera plus qu’à pacifier les faubourgs qui récalcitrent. Les Comités ont bien joué.
    — A quel jeu ?
    — Un jeu politique, cher ami. A la tribune, je devais faire traîner les choses pour fatiguer les émeutiers et pour que les députés se dévoilent : ceux qui penchaient vers la révolte viennent d’être arrêtés en bloc. Belle manœuvre, pas vrai ? Continuons donc à épurer, voilà ce que disaient Fréron et Tallien.

Weitere Kostenlose Bücher