Le chat botté
te faire mal.
Dans un tourbillon d’hommes et de femmes, Dupertois tira le sabre du général, un autre défit son ceinturon, un troisième chipa son mouchoir et un galopin son portefeuille, laissant étourdi le pauvre militaire qui étouffait presque et n’avait pas la place de riposter. Un député des Pyrénées, Féraud, voulut le secourir, porté par cette foule qu’il avait du mal à fendre :
— Laissez tranquille le général Fox !
— Qui c’est, ce chien ? demanda Dupertois à la cantonade.
— Féraud ! gueula une marchande de tabac qui avait tenu son commerce dans le grand vestibule du château.
— Fréron ? répéta Dupertois. Le chef des jeunes poudrés ?
A cause de cette méprise, Dupertois arracha de la main d’un bourgeois son pistolet chargé et tira une balle dans la gorge de Féraud. La multitude, en se contenant, laissa au député un espace pour qu’il s’effondre au bas de l’escalier de marbre. Dupertois dégringola trois marches, entouré par son bataillon de jacobins; il se pencha sur le cadavre et, avec le sabre volé, en poussant un ahan! de bûcheron, lui trancha le cou. Il prit la tête par ses cheveux longs et la leva. Le sang coulait sur sa manche, il éclatait de rire :
— Robespierre, tu es vengé!
— Une pique ! Donnez-lui une pique!
Une harpie passa la sienne et Dupertois y embrocha la tête de Féraud pour que tous la voient. Il y eut des applaudissements et des cris d’effroi, puis une procession s’improvisa derrière le serrurier qui brandissait le dégoûtant emblème, et la foule s’ouvrait. Au bout du grand vestibule, devant la portière de drap vert qui fermait la salle des débats, Dupertois se retourna :
— A bas la Convention !
— A bas la Convention! reprenaient les émeutiers.
Suivi par les plus décidés, Dupertois entra le premier dans la salle. Les députés se levèrent, horrifiés à la vue de cette tête au bout d’une pique, celle de Féraud, leur collègue chargé du ravitaillement de Paris. Au pied de la tribune, Delormel caressa les crosses de ses pistolets inutiles. Les députés ôtèrent leurs chapeaux et le président Boissy d’Anglas, assis à son perchoir, comme Dupertois lui présentait la tête du représentant assassiné, la salua en baissant le front. Un flot de peuple était entré dans la salle en chantant La Marseillaise , que des députés craintifs ou complaisants reprirent en chœur. Dupertois partit comme il était venu, protégé par les femmes et les hommes du faubourg Saint-Antoine, en prévenant d’une voix forte qu’on entendait résonner malgré le tapage :
— Il faut dissoudre cette assemblée de riches !
— Il n’y a ici que des citoyens ! s’égosillait un petit député suant qui occupait à ce moment la tribune.
— Hou ! hou !
Dupertois, sa pique et la tête de Féraud avaient disparu. Les huées remplaçaient l’hymne mais, sans se démonter, l’orateur insistait :
— Il n’y a pas ici de riches et de pauvres !
— Menteur !
— Hou ! hou ! hou !
Delormel poussa le petit député pour prendre sa place et tenter d’apaiser les émeutiers en épousant leurs thèmes pour mieux les retourner.
— Tu as un ventre de riche ! lui cria une femme de la Halle.
— Et toi, citoyenne, tu es riche? lui demanda Delormel.
— Pour sûr que non !
— Ton ventre vaut bien le mien.
— Ça veut rien dire, ça !
— C'est bien ce que je pense.
Il y eut, enfin, des rires qui firent baisser la tension. Delormel avait la parole, il la garda :
— Moi je viens du Calvados. J’étais un simple couvreur en chaume et la Révolution m’a élevé. Me voici devant vous, comme vous, puisque je viens du peuple.
— T’en viens mais t’y es pas resté!
— Tais-toi, vaurien! tais-toi ! Chez moi, en Normandie, les familles n’ont pour survivre que de l’herbe bouillie...
— Nous aussi!
— Tu connais pas la soupe aux racines, citoyen ?
— Je connais, dit Delormel. Je sais aussi que le général Barras est parti réquisitionner en province de quoi nourrir Paris. D’énormes convois de grains, à cette heure, s’acheminent de Nancy, de Compiègne, de Chartres.
— On n’a plus le temps !
— Que voulez-vous ? Du pain ? Il arrive.
— On veut la suppression des Comités, lança un gaillard qui agitait une hache.
— Au vote! cria un député des premiers rangs.
— Que mettrez-vous à la place ?
— Une commission avec des hommes nouveaux, et qu’on recense les grains et les farines,
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