Le chat botté
Ils ont passé la nuit, avec Legendre...
— Le boucher Legendre ?
— Attention, boucher de boucherie, hein, c’était son métier, un métier honorable que celui de nourrir les gens, oui, Legendre, parce que c’est un puissant orateur. Ils partent dans les sections qui nous demeurent acquises, reconstituent des bataillons fidèles à la Convention, la Butte-des-Moulins, LePeletier, Fontaine-Grenelle... Ils confient le commandement de cette garde nationale à Menou, un baron qui avait été naguère l’élu de la noblesse aux Etats généraux (pour te préciser son aversion des jacobins)...
— Vous avez l’air satisfait de vous.
— Je me suis senti utile, figure-toi, c’est pour moi un sentiment nouveau, mais enfin, je n’ai pas réussi une fortune pour la perdre si vite à cause de va-nu-pieds sanguinaires. Et puis je pensais à Rosalie... Elle doit se morfondre.
— Elle a mal dormi.
— Avec toi ?
— Oui...
— Je pars la rassurer.
— Et moi essayer d’achever votre travail.
— Bonne chance.
Le jeune homme revint dans les parages du Comité de sûreté générale : les muscadins y manifestaient leur volonté de combattre. Fréron se montra. Tous le reconnaissaient à sa perruque blonde qui flottait. D’un geste il arrêta les acclamations et se mit à haranguer cette jeunesse qu’on disait à lui et que par ses écrits, par ses discours, il avait lancée contre les jacobins depuis des mois :
— La Convention compte sur vous ! Vous êtes une troupe d’élite. Je sais que vous êtes résolus à défendre l’Assemblée, en cas de massacre.
— Tu entends ce qu’il dit, Saint-Aubin ?
— Il dit que nous allons agir.
Saint-Aubin avait retrouvé Dussault dans la foule des jeunes gens que grossissaient des bourgeois bien mis, le sabre au poing. Dussault souligna :
— Il a dit en cas de massacre .
— C'est pour nous enflammer. Delormel vient de me certifier que les faubourgs seront balayés sans peine.
— Par qui ?
— Mais par nous, voyons !
Quand Fréron referma sa fenêtre après avoir encouragé les jeunes gens, très contrarié, il se confia à Tallien et à Legendre :
— Les sections populaires sont en ébullition, si on envoie nos écervelés dans les faubourgs ils vont se faire tailler en pièces. Enervés par cette victoire facile, les ouvriers vont fondre sur les Tuileries, et l’offensive de demain, avec la troupe, sera impossible. Or, si on laisse nos muscadins désœuvrés, ils sont capables des pires idioties malgré nos discours.
— J’ai une idée, dit Legendre.
— Nous t’écoutons.
— Nos agents pensent avoir repéré les chefs de la révolte. Ils seraient dans la maison du brasseur Santerre, à l’orée du faubourg Saint-Antoine...
— Et après ?
— Nous prévenons nos deux ou trois cents loustics que dès l’aube ils partiront cueillir ces meneurs au saut du lit. Nous leur affirmons que cela suffira à briser l’émeute, ils se croiront importants, se tiendront paisibles, l’armée pourra prendre position. De nouveaux bataillons doivent arriver ce soir.
— Comment va-t-on les occuper jusque-là, nos jeunes gens ?
— A de menues opérations de police autour du palais.
Pour les muscadins, la journée se passa donc en rondes de surveillance aux alentours des Tuileries. Saint-Aubin et ses amis, costumés comme pour un bal, le gourdin sous le bras, marchaient place du Carrousel; ils dévisageaient les badauds et les ouvriers qui s’attroupaient en discutant de la situation avec ardeur.
— Cet individu en veste bleue...
— Avec le nez pointu ?
— Celui-là même, précisait Dussault. J’ai la forte impression de l’avoir souvent croisé près de la Conciergerie, l’année dernière.
— Ça me revient ! Comment l’oublier ? Il a été juré au Tribunal révolutionnaire, un féroce.
— Topino-Lebrun ! s’exclama Saint-Aubin.
— Voilà! c’est bien lui.
Les muscadins encadrèrent le suspect et le saisirent par les bras. Le bonhomme, effaré par ces manières brusques, ne se défendait pas, il se laissa soustraire sans un mot aux ouvrières avec lesquelles il maudissait le prix du pain. Saint-Aubin l’interrogea :
— Ton nom ?
— Vincent...
— Ton vrai nom !
— Vincent, je vous dis.
— Tu es Topino-Lebrun.
— Pas du tout, je m’appelle Vincent et je suis peintre. Allez vérifier chez mes voisins.
— Où habites-tu ?
— Rue de Lappe, n° 28.
— Rue de Lappe ? s’étonnait Davenne, mais cela se niche dans les
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