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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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faubourgs.
    — Ben ouais.
    — On t’emmène au Comité.
    — Où ça ?
    — A la sûreté générale, et de là, en prison.
    — Mais je suis peintre et je m’appelle Vincent!
    Ce genre de scène se multipliait çà et là dans l’indifférence. Le peuple qui se regroupait ne protestait pas, comme s’il attendait le moment de régler leur compte à ces petits messieurs. Les muscadins remirent leur proie à la police, improvisèrent des preuves irréfutables et le peintre innocent fut mis en état d’arrestation sans procédure. Saint-Aubin et ses compagnons retournèrent au Carrousel; passant dans la cour des Tuileries devant les soldats rangés en bataille du général Kilmaine, ils plaisantaient à voix haute :
    — A quoi servent ces militaires ?
    — Très cher, ils ne servent à rien puisque nous sommes là.
    — Je me le disais aussi.
    — Ils se sont sans doute bien battus à nos frontières, mais dans les rues de Paris ?
    — On ne règle pas une émeute comme une charge de cavalerie en plaine.
    Un sergent-major avait entendu ces moqueries, il marcha droit sur les insolents :
    — Je ne vous permets pas !
    — Nous n’avons pas besoin de permission, répliqua Saint-Aubin.
    — Paltoquets !
    — Aiment-ils la Convention autant que nous, vos soldats ?
    — J’en réponds!
    Les muscadins faisaient cercle autour du sergent-major furieux.
    — N’insultez plus l’armée! grondait-il. Ou l’armée vous dispersera à coups de bottes !
    — Du calme !
    Alerté par la dispute, Tallien avait descendu en hâte l’escalier du Comité; il courait éviter l’incident et répétait :
    — Du calme, citoyens !
    Le sergent-major retroussa par nervosité sa moustache :
    — Ces godelureaux nous narguent.
    — Pas le moins du monde, dit Tallien, mais ils brûlent d’intervenir et que la paix civile règne à nouveau.
    — Voudrais bien voir ça, citoyen représentant.
    — Tu le verras, sergent.
    — Savent pas tenir un fusil.
    Tallien écarta les muscadins du sous-officier grincheux et leur confia :
    — Demain, très tôt, vers trois heures du matin, soyez tous sur la terrasse des Feuillants pour une nouvelle distribution de fusils et de cartouches. La Commission des armes et poudre est prévenue. De là, avant que les faubourgs se réveillent, vous avez pour mission d’entourer la maison du brasseur Santerre où se cachent les traîtres qui échauffent le peuple.
    — Dans les faubourgs ?
    — A la limite entre les boulevards et le faubourg Saint-Antoine. Vous aurez des guides. Maintenant, prévenez les vôtres et d’ici là reposez-vous. N’oubliez pas que vous êtes l’avant-garde de la Convention.
    — L'avant-garde ? Nous en étions conscients, dit Dussault en haussant les sourcils.
    Ensommeillés mais combatifs, voire enthousiastes, armés de neuf, pommadés, bottes cirées, empestant le musc, les jeunes gens se trouvèrent à trois cents place du Carrousel avant le jour; le fusil à l’épaule ou au creux du bras comme à la chasse aux lapins, ils se prenaient pour des guerriers, fanfaronnaient avant l’affrontement désiré. Appelés par un sous-officier dont le baudrier blanc et croisé brillait sous la lune, ils allèrent en désordre, comme à la promenade, sur le quai où les attendait un détachement de cavalerie légère et le général Kilmaine en personne, Kilmaine au visage cuit des grands buveurs, Kilmaine de Dublin, qui avait connu bien des batailles au Sénégal et en Amérique, pas commode, professionnel, ronchonnant à l’idée de conduire cette escouade de pitres.
    — Saint-Aubin, dites-moi, ce sont là les guides que Tallien nous a promis ?
    — J’en ai peur, très cher.
    — Vous allez voir que ces rustres vont nous dérober notre victoire.
    — Silence ! grondait Kilmaine pour éteindre les chuchotis. Rangez-vous sur trois colonnes et marchez sans bruit, ou je vous flanque sur le dos de vrais uniformes !
    — Je ne sais pas où il les dénicherait, raillait Dussault à voix basse.
    — Silence !
    Sans un son, sans un feu, l’armée des muscadins suivit dans l’obscurité les cavaliers qui avançaient au pas; les sabots des chevaux avaient été emmaillotés de chiffons pour qu’ils ne claquent pas sur le pavé. Avant l’Hôtel de ville ils tournèrent par des rues étroites pour parvenir avec discrétion jusqu’à la rue Saint-Antoine. A cinq heures, aux premières lueurs de l’aube, ils atteignirent la place de la Bastille. Des gens du peuple, certains tenaient des

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