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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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blessés par un tabouret, leurs chapeaux tombés, les muscadins virent cent mètres plus loin, rue de Charonne, une barricade encore plus haute composée d’objets renversés, pareillement défendue par une multitude de femmes et d’hommes fous de colère; plus dangereux, ils avaient hissé des canons sur la crête des pavés et portaient des mèches allumées.
    — Si nous rebroussions chemin ?
    — Cher Dussault, je déplore que le piège se referme.
    Plus ils avaient peur, moins ils le montraient. Une pile d’écuelles se brisa à leurs pieds; Saint-Aubin se baissa, ramassa un éclat qu’il rangea dans son gousset :
    — Pour le souvenir, si nous vivons toujours ce soir...
    — On peut en douter.
    — Ah oui, vous avez raison, dit Saint-Aubin en se retournant.
    La barricade s’était reconstituée derrière eux, ils étaient entre deux murailles, exposés à ce qui leur tombait sur la tête, car ils étaient plus visés que les cavaliers de Kilmaine. Le général reprenait ses pourparlers, cette fois avec des commissaires du quartier qui voulaient éviter le bain de sang, et des sectionnaires sans-culottes plus irascibles :
    — Laissez-nous les jeunes pommadés, disaient-ils, et vous sortirez sauf, général, avec votre escadron.
    — Il n’en est pas question.
    Comme les palabres précédentes, celle-ci n’en finissait pas, et la patience est bien difficile à exercer quand on reçoit sur le crâne des planches, des pots, des pierres lancées par des gamins mauvais.
    — Sortons en nombre! lança un acteur du Théâtre-Français en habit vert, et il se gonflait comme pour une tirade.
    — Essayons, Monsieur! enchaîna un petit muscadin qui se bourrait le nez de tabac pour se donner du cœur.
    — Allons ! dit Saint-Aubin, évitant une carafe de justesse.
    Une poussée de jeunes gens voulut escalader le point faible de la barricade, constitué d’armoires, dans l’angle mort des canons. Ils commencèrent à grimper, la crosse de leurs fusils en avant comme des massues, mais ils retombèrent dans la rue, certains de tout leur long, parce que les ouvriers hérissaient l’endroit de leurs piques longues sur lesquelles on ne pouvait que s’éventrer. La tentative avait échoué et Kilmaine ne décolérait pas :
    — Bougre d’idiots !
    — On veut vous aider, général...
    — Vous me desservez !
    Il fallut demeurer stoïque et se garer des projectiles qui tombaient dru des fenêtres. Dussault reçut une chaise de paille qui lui déboîta l’épaule, le fils d’un marchand de soie eut un bras cassé. En face, un grand nègre de Saint-Domingue, qui avait participé naguère au massacre de la prison des Carmes, cela se savait, approcha sa mèche enflammée du canon qu’il servait, mais un garde national des faubourgs se jeta dessus pour l’éteindre. Les révoltés se disputaient maintenant entre eux, et, une fois encore, après une heure d’épuisantes discussions voilées de menaces, une brèche s’ouvrit pour laisser filer Kilmaine et ses cavaliers, puis une autre brèche, plus étroite, un couloir en chicane que les jeunes gens durent franchir sans gloire en baissant le nez; ils se faufilaient entre les moellons et les meubles empilés, comme des voleurs, sous les moqueries :
    — A bientôt, les mains blanches !
    — Bon voyage, mes p’tits délicats !
    — N’y r’venez plus !
    Les émeutiers arrachaient au passage quelques armes. Une virago vola le chapeau de Saint-Aubin et s’en coiffa; elle se dandinait sur son tas de pavés pour imiter les muscadins dans une danse grotesque. La colonne n’était pas encore sauve mais elle se rapprochait des boulevards, cette limite entre le faubourg et la ville. Avant d’y parvenir se dressait devant elle une troisième barricade.
    Dans son salon du rez-de-chaussée, Delormel sortait des bibelots fragiles d’une caisse pleine de paille, et il les alignait sur le sol avant de leur trouver un rangement. Pensif, il soupira :
    — Si Barras ne peut rien pour vous, je vais me heurter aux mêmes refus...
    — Vous avez peut-être d’autres arguments que le vicomte, d’autres entrées dans les ministères ?
    Buonaparte, enfoncé dans un grand fauteuil, tapotait le plancher de ses semelles avec agacement.
    — Vous êtes artilleur, votre affectation dépend d’Aubry...
    — Je suis allé le voir. Il me hait.
    — Il vous prend pour un terroriste, à cause de vos anciennes fréquentations à Toulon. Vous savez que c’est un ancien girondin.
    — Je sais

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