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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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théâtre et des habits chargés d’or. Il s’installa au palais de l’Etat-Major, cet hôtel des Colonnades, rue Neuve-des-Capucines, avec une façade sur le boulevard, qui devint le premier monument historique habité par un Buonaparte : le gouverneur de l’Inde française, Dupleix, y était mort; un contrôleur des finances y avait installé un cabinet d’histoire naturelle. Barras, qui se préparait à devenir l’un des cinq Directeurs du nouveau pouvoir exécutif, lui abandonna bientôt sa charge de général en chef, un titre qui cachait mal celui de gouverneur militaire de Paris, responsable de la censure et des opérations de police. Après avoir changé d’aspect, Buonaparte changea de ton. Il devint méditatif et parfois cassant, ne parlait que par ordres, n’autorisait plus qu’on le tutoie. Son premier travail fut d’enrichir sa famille et ses fidèles. Il proposa son frère aîné Joseph comme consul, en Espagne ou en Italie, qu’importe; son frère Louis, à dix-sept ans, devenait l’un de ses aides de camp aux côtés de Junot. L'oncle Fesch, qui se spécialisera par la suite dans le pillage des œuvres d’art, fut nommé secrétaire puis commissaire des guerres. L'oncle Ramolino se retrouva à l’inspection des charrois. Marmont, son ami de Toulon, revint de sa garnison de Mayence pour entrer au comité d’artillerie. Comme il descendait à Marseille avec Fréron, Buonaparte confia à son frère Lucien quatre mille francs en argent et en assignats pour leur mère.
    Et puis il s’occupait de l’armée.
    Il avait rappelé à Paris les troupes des banlieues, Sceaux, Saint-Cloud, Courbevoie, Vincennes, et centralisait désormais le moindre rapport dans son bureau. Sous ses ordres il comptait onze divisions, trente-deux mille hommes pour occuper la capitale et veiller à ce que rien ne bouge, avec l’appui de deux cents canons et près de sept mille chevaux. Les braillards du bataillon jacobin, si utiles le 13 vendémiaire contre les royalistes, formèrent une légion de police et le donjon de Vincennes devint une poudrière.
    Dès neuf heures du soir, douze patrouilles de cavaliers sillonnaient Paris. Les rassemblements étaient à la fois interdits et impossibles, sauf au théâtre. Les pouvoirs issus d’une révolution ou d’un coup de main se méfient du théâtre, parce que les idées frondeuses s’y expriment mieux qu’ailleurs, plus directement, et que la salle y répond à la scène. Quand il sortait d’un dîner chez le traiteur Archambaud, puisqu’il délaissait la célèbre gargote des Frères provençaux qu’il ne trouvait plus digne de son rang, Buonaparte disait à ses officiers : « Si nous allions corriger les chouans ? » Il passait d’un théâtre à l’autre, de l’Opéra-Comique aux Variétés, et il obligeait le public à chanter La Marseillaise . Le général était très pointilleux : le théâtre devait être conforme, utile à la République et à sa morale affichée. Des dizaines de soldats étaient mobilisés pour intervenir, les parterres et les galeries surveillés par des agents en civil dont Buonaparte lisait les rapports, chaque matin, avant de les envoyer au ministre de la Police générale. En voici un échantillon, à propos d’une soirée au théâtre Feydeau :
    Avant le lever du rideau, un homme a été aperçu dans la première galerie, ayant les cheveux retroussés. On a crié : « A bas le chouan ! » Il a disparu. Entre les deux pièces, Gaveau s’est présenté pour chanter l’hymne des Marseillais. Plusieurs voix se sont élevées du parterre en criant : « A bas le chouan! », faisant tous leurs efforts pour l’empêcher de chanter. Un grand désordre s’en est suivi. Cependant, Gaveau a continué. Le juge de paix a fait sortir trois des plus acharnés, lesquels ont été conduits par les adjudants de service au corps de garde, où le juge de paix les a interrogés.
    Buonaparte avait un pouvoir. Il l’exerçait avec rudesse. Il courait Paris à cheval, entouré d’officiers moustachus, pour inspecter et pour se montrer. Il se sentait capable de rétablir l’ordre. Il voulait maintenant devenir populaire.
    Ses idées de mariage profitable continuaient à tracasser le général. Parce qu’il estimait son nouvel état, il n’était plus question d’épouser une comédienne défraîchie, même riche, et il délaissa Mademoiselle de Montansier. Elle s’accrochait pourtant, croyait aux serments en l’air, espérait précipiter

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