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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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mur.
    — Viens, Junot, il faut que tu te choisisses une épée de capitaine. Garde, ouvre la grille.
    Le général prit un flambeau et ils entrèrent choisir des armes de qualité. Pendant que Junot fouillait dans un tas, sortait des épées, les comparait, un sergent se mit au garde-à-vous et dit à Buonaparte :
    — Mon général, j’ai un paquet à vous remettre.
    — De la part de qui ?
    — Un jeune homme est venu dans la soirée, il m’a fait promettre de vous l’donner en personne.
    — Montre.
    — Voici, mon général.
    Buonaparte confia son flambeau au sergent et prit le paquet.
    — Il n’y a pas de lettre? Pas de nom ? Aucune explication ?
    — Non, mon général, le jeune homme a dit que vous sauriez comprendre.
    Buonaparte déchira le paquet. Il reconnut les deux pistolets de luxe, celui qu’il avait offert à Saint-Aubin et celui qu’il avait confié à Dupertois.
    Le Palais-Egalité, ci-devant Palais-Royal, avait repris sa routine. Les troupes y avaient campé quelques jours; elles étaient rentrées dans leurs casernes. Les filles tourbillonnaient comme avant entre les piliers des galeries, leurs clients avaient le choix et la tête à mille fantaisies. Les restaurants refusaient des dîneurs faute de place, les salles de jeux ne désemplissaient pas, les agioteurs vendaient de l’argent et de la camelote. Seule la physionomie du café de Chartres s’était modifiée. Les muscadins ultraroyalistes n’y retournaient plus, ils laissaient les banquettes à ceux d’entre eux à qui suffisaient la mode et l’exagération pour se démarquer du vulgaire; ils affectaient un langage précieux, ceux-là, qui imitait le zozotement du chanteur Garat ; on les appelait désormais les incroyables, qu’ils prononçaient inc’oyables car les consonnes comme le r écorchaient leurs gosiers fragiles. Ils avaient aggravé les panoplies outrées des muscadins, roucoulaient, le museau enseveli dans leurs cravates de mousseline, cheveux hérissés, basques sans mesure et culottes serrées à craquer; les merveilleuses, elles, portaient des robes ouvertes, des chemises de linon, des pantalons roses comme leur peau, des perruques blondes que surmontaient des chapeaux à visières rondes et larges.
    Revenu aux redingotes sobres, Saint-Aubin trouvait ridicule le nouveau penchant de ses anciens amis; s’il allait les observer à travers la vitre du café de Chartres, il ne les fréquentait plus. Tant de légèreté l'écœurait après les événements sanglants de vendémiaire. Un soir qu’il se promenait dans ces parages au bras du muscadin Davenne, lui aussi rescapé de Saint-Roch, il lui expliqua que la mort injuste de Dussault l’avait éloigné de la politique, qu’il dérivait, que ses croyances de la veille n’étaient plus fortifiées par l’amitié. « Par rapport aux étoiles, disait-il, nos vies n’ont pas grande importance. » En route pour le théâtre Favart, ils discutaient, l’un désabusé et l’autre encore enflammé par la cause du roi :
    — Nous gagnerons, Saint-Aubin. Tous les royalistes n’ont pas été tués par les canons de Barras. Tiens, cette semaine, sur le coche d’eau qui arrivait d’Auxerre, les passagers ont dansé une ronde, et tu veux connaître le refrain? Ils chantaient Et bientôt nous verrons le règne des Bourbons ...
    — Ton optimisme ne t’a pas empêché de recevoir un ordre de réquisition.
    — Je ne me laisserai pas attraper par les soldats.
    — Crois-tu ? Aujourd’hui ils ne plaisantent plus.
    Si la Convention avait pendant des mois fourré en prison des muscadins, elle manquait de poigne ou de volonté, car ils étaient relâchés avant la caserne. Depuis l’installation de l’armée dans Paris, les réquisitions d’insoumis se multipliaient et le général Buonaparte veillait à ce qu’on les expédie dans les armées des frontières. Davenne le savait mais peu lui importait :
    — Je n’irai pas dans leurs armées, Saint-Aubin. On dit que la désertion y progresse autant que la misère, que les Autrichiens ont chassé les troupes de la Convention en-deçà du Rhin...
    — J’ai entendu le contraire.
    — Propagande!
    — Tu vas t’exiler ?
    — Oui, en Vendée, chez les nôtres. Viens avec moi, j’ai des adresses.
    Dans une maison garnie de la rue Saint-Dominique, un Anglais recrutait des jeunes insoumis en leur promettant un louis par jour. Davenne essayait de convaincre son ami :
    — Et toi, si les soldats viennent te chercher? Tu vas

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