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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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accepter leur uniforme bleu ?
    — Ils ne viendront pas me chercher chez un député.
    — Tu plaisantes! Nous sommes tous inscrits sur leurs listes, ils nous ont déjà choisi un régiment, ils t’emmèneront de force.
    — Eh bien je vais me cacher à la campagne. Delormel a des maisons.
    — Tu lui fais confiance, à ton gros député?
    Saint-Aubin ne répondit pas mais pensait à Rosalie quand un chapelet d’explosions le fit sursauter. Sous l’œil rigolard de la sentinelle adossée aux grilles des arcades, Davenne leva sa canne pour rosser les polissons qui jetaient des pétards dans les jambes des promeneurs, mais les gamins s’étaient déja faufilés dans la foule du jardin.
    — Ce genre de bruit me rend nerveux, dit Davenne avec mauvaise humeur.
    — En Vendée, tu vas être servi. Allez, on y va, nous allons manquer le lever du rideau.
    Et Saint-Aubin lui reprit le bras.
    Devant le théâtre de la rue Favart il y avait affluence. Ce n’était pas pour la pièce, un drame médiocre, Philippe et Georgette , mais parce que deux comédiens qui y jouaient, Elleviou et Gavaudon, réfractaires, devaient partir pour l’armée du Rhin; ils avaient reçu leurs feuilles.
    — Ma montre!
    Malgré une garde renforcée, malgré les agents en civil, les voleurs profitaient de cette presse et fouillaient les poches ou les goussets, chipaient des portefeuilles, même le chapeau qu’un factionnaire avait sur la tête. Dans la salle, le public grondait et s’échauffait, commentait les réquisitions, maudissait la Convention. Lorsqu’un des deux fameux comédiens entrait en scène, on l’entendait à peine tant les applaudissements couvraient sa voix. La moindre réplique prenait un double sens :
    — Et ce jeune Bonnefoy, qu’est-il devenu ?
    — Il va chercher fortune ailleurs.
    — En Vendée? criait un spectateur sous les ovations.
    — Gavaudon part avec moi demain matin par la diligence de Nantes, dit Davenne à son compagnon. Tu as quelques heures pour te décider. L'Agence royaliste paie le voyage.
    Buonaparte commençait à soigner son image. Lorsqu’il retournait par fidélité chez Madame Permon qui, après la mort de son mari d’une fièvre cérébrale, habitait désormais une petite maison discrète de la chaussée d’Antin, il distribuait du bois et du pain de munition aux pauvres de la rue Saint-Nicolas dont elle s’occupait. Un jour, comme il descendait de sa voiture neuve aux armes de la République, avec son chapeau à plumes et des bottes cirées, une femme l’interpella : « Citoyen officier, je n’ai plus rien! Je vais me noyer avec mes cinq autres enfants! » Elle s’appelait Marianne Huvé et portait entre les bras un bébé mort d’inanition; le mari, un couvreur, s’était tué en réparant la toiture du château des Tuileries. Buonaparte lui glissa dans la main une liasse d’assignats dévalués. Plus tard, dans le salon vert et blanc des Permon, il avait l’air soucieux :
    — Cette femme, tout à l’heure, on va lui fournir une petite pension. Vous pouvez vous renseigner sur son cas ?
    D’autres jours, Buonaparte retrouvait Madame Permon dans sa loge du théâtre Feydeau, où elle allait régulièrement sur ordre de son médecin : elle devait se distraire. Un samedi soir, alors qu’il dînait en compagnie des Permon, il ébaucha des projets de rapprochement entre leurs deux familles :
    — Ne serait-il pas temps que votre fils se marie ?
    — Ça dépend de lui et de lui seul, répondit Madame Permon.
    — Il a un métier.
    — Il n’est que l’élève d’Horace Vernet, il débute à peine dans la peinture...
    — Mais il parle quatre langues, il joue très finement de la harpe, il versifie...
    Buonaparte lui croyait surtout dix mille livres de rentes et proposa de le marier à Pauline :
    — Ma sœur n’a rien, mais au poste que j’occupe, je peux obtenir pour votre fils une bonne place.
    — Nous lui demanderons, Napoléon.
    — Et votre fille Laure ? On pourrait la marier à Louis, ou même à Jérôme.
    — Jérôme ? Votre frère est un enfant et Laure aussi. Vous mariez tout le monde, aujourd’hui !
    Un peu gêné, Buonaparte se mit à rire. Il baisa la main de Madame Permon et ajouta :
    — Et nous ?
    — Nous quoi, Napoléon ?
    — Si on se mariait ?
    Etonnée, stupide, Madame Permon éclata de rire, s’essuya les yeux :
    — Vous plaisantez ?
    — Pas le moins du monde.
    — Mon pauvre mari est mort il y a deux semaines...
    — Commençons l’union de nos

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