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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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la cérémonie, parlait de son foutour car elle prononçait ou les u . Barras se plaisait en entremetteur ; allant visiter Buonaparte dans son palais, il annonça :
    — Mademoiselle de Montansier nous invite à dîner.
    — Ce soir ? répondit le général avec un sourire teint d’ironie.
    — Ce soir.
    — Impossible ! J’en suis très flatté, citoyen représentant, mais le temps me manque.
    Il montrait la pile de rapports qu’il n’avait pas encore épluchés. Barras insista :
    — Alors demain ?
    Le lendemain, Buonaparte se fit à nouveau prier.
    — Tu n’as même plus le temps de dîner? lui demanda Barras que la situation amusait.
    — Je suis tout à ma charge, je n’ai plus d’heures, je dors peu, je mange à peine et quand j’ai le temps.
    — A cinq heures et demie ? dit encore Barras.
    — Si c’est un ordre, j’obéis...
    Le général se rendit donc en soupirant chez la Montansier, dans son grand appartement au-dessus du café de Chartres. Pendant le repas, il resta maussade. Barras le taquinait, la vieille comédienne minaudait :
    — Vous n’aimez pas l’oie grillée, cher général ?
    — Délicieuse...
    — Mademoiselle ou l’oie ? disait Barras avec un sourire en se coupant une large bouchée de volaille.
    — Les deux différemment, répondit Buonaparte qui se sentait tombé dans un traquenard et n’avait aucune envie de finasser.
    Un valet arriva à son secours :
    — Un capitaine de son état-major attend le général Buona-Parté dans le vestibule. Il dit que c’est important.
    Le général se leva et enfila ses gants :
    — Chère demoiselle, citoyen représentant, vous voyez que je ne mens pas. Il suffit que je m’éloigne pour qu’on me réclame.
    — Paris me semble en paix, ce soir, dit Barras qui n’était pas dupe.
    — Les sectionnaires s’agitent encore.
    — Vraiment ? Ils ont été désarmés.
    — J’en connais de récalcitrants, et pour être efficace je dois être partout.
    — Le ventre vide? se désolait la Montansier en regardant l’assiette du général.
    — La priorité, c’est le travail que m’a confié la Convention, mais je reviendrai.
    Dans le vestibule il retrouva Junot, et en endossant sa redingote lui dit à mi-voix :
    — Tu en a mis, du temps.
    — Il est six heures et demie du soir, général, comme nous étions convenus.
    — J’ai l’impression que cet assommant repas a duré une éternité! J’attendais que tu viennes me délivrer.
    Ils montèrent dans l’une des voitures attribuées à Buonaparte et se firent déposer devant le restaurant Archambaud où l’on savait cuisiner des macaronis comme les aimait le général, couverts de parmesan. Il n’y avait rien d’autre à faire, ce soir-là. La répression de l’émeute royaliste avait été indulgente; les tribunaux militaires avaient siégé à Saint-Roch, au couvent des Filles-Saint-Thomas, au Théâtre-Français mais presque toutes les condamnations à mort l’avaient été par contumace. Lafond de Soulé fut guillotiné en place de Grève puisqu’il avait insulté ses juges, comme Lemaître, ce journaliste qui correspondait avec les espions du comte d’Antraigues. Les autres étaient retournés chez eux, on savait leurs adresses, on ne les inquiétait pas. Le baron de Batz, conspirateur très connu, avait regagné sa chambre du 31, rue des Vieux-Augustin, premier étage au-dessus de l’entresol. La Convention songeait à abolir la peine de mort, elle travaillait sur un décret et encourageait la mansuétude. Le comte de Castellane, condamné en son absence, ne se cachait pas, il menait à Paris une vie normale; à une patrouille de nuit qui l’arrêta pour lui demander son identité, il répondit d’un air enjoué : « Eh parbleu, c’est moi, Castellane le contumace ! » Et il poursuivit son chemin.
    Au sortir du restaurant, Buonaparte et Junot passèrent par les boulevards. Un calme parfait y régnait. L'armée remplaçait partout la garde nationale et la fraîcheur de la nuit retenait les Parisiens de flâner sous les acacias aux feuilles roussies. Les vastes salles voûtées de l’hôtel de l’Etat-Major, au pied de l’escalier en marbre, ressemblaient à une armurerie; les sections avaient été désarmées, les perquisitions continuaient chez les particuliers, dans toute la ville, pour confisquer les sabres, les fusils, les épées qui s’amoncelaient en vrac sur le carrelage, gardés par une grille et des sentinelles droites sous les flambeaux fixés au

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