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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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plutôt.
    — Ces trous, au-dessus du clavier ? demanda le député.
    — Ils correspondent aux notes.
    — Votre explication ne m’éclaire pas...
    — Il vous faut pour cela une démonstration. Je vais vous faire comprendre avec l’un de mes chanteurs.
    Petitot s’accroupit près de ses sacs, rangés en file, et qui chacun portait une note inscrite à la poignée. Il ouvrit, en sortit un chat roux peu réveillé et alla le placer à l’intérieur du clavecin de façon à ce que sa tête ressorte par l’un des trous.
    — Voyez, Monsieur le député, c’est le chat qui chante la note fa .
    — Je ne vois toujours pas...
    Avec un rire en coin, satisfait de lui, Petitot frappa la touche du clavier sous la tête du chat qui se mit à miauler une note.
    — C'est un fa ?
    — Absolument.
    — Je n’ai entendu qu’un miaulement.
    — Un mélomane vous confirmerait qu’il s’agit d’un fa .
    — Et il suffit que vous frappiez du doigt une touche pour que l’animal miaule sa note?
    — Je l’y aide.
    — Comment ?
    — Par une astuce de mon invention, que je vais vous dévoiler. Approchez de l’appareil et regardez : les touches actionnent des lames pointues dont chacune frappe la queue d’un chat, lequel pousse un cri, et chaque cri correspond à une différente note de la gamme.
    — Ils ne se sauvent pas, vos chats ?
    — Impossible ! Voyez comme j’ai fixé celui-ci dans une sorte de gouttière en bois.
    — J’ai hâte d’entendre votre concert.
    — Le plus délicat, je vous l’avoue, ça a été de choisir avec exactitude l’animal qui chante une note juste. Il faut une oreille exercée, je vous jure, et un talent musical exceptionnel, sans me vanter.
    — Bien bien, dit Delormel, réjoui par cette trouvaille. Tout sera prêt dans une heure ?
    — Le temps de placer mes autres musiciens dans leurs boîtes et dans leurs trous. Le concert commencera quand vous le voudrez.
    Les domestiques disposaient des chaises pour les invités qui allaient arriver, et dressaient les buffets dans le salon voisin. Delormel, ravi par ce que Petitot appelait un concert miaulique , sortit de la pièce avec Rosalie à son bras; elle lui reprochait d’une petite voix :
    — Comment peux-tu rire de ces sottises ? Et ce soir.
    — Ce soir nous fêtons le retour au calme.
    — Les morts inutiles, tu t’en moques ?
    — Ils étaient au mauvais endroit, et c’est toi qui t’en moques. Tu as peur pour Saint-Aubin ? Je suis persuadé qu’il a réussi à se mettre à l’abri. Ce garçon est velléitaire mais prudent.
    — Tes affirmations ne me rassurent pas. En fait, tu lui en veux.
    — Pas le moins du monde.
    Ils en avaient parlé cent fois depuis le matin. Rosalie n’avait trouvé que le corps de Dussault, devant Saint-Roch, or les deux amis étaient forcément ensemble pendant la fusillade. Un seul était tombé, l’autre s’était échappé. Les sectionnaires capturés se tassaient dans les caves des Tuileries en attendant qu’on les flanque dans de vraies prisons; Delormel avait vérifié : Saint-Aubin n’avait pas été arrêté. Pour changer de sujet, il écarta les voilages d’une porte-fenêtre :
    — Nos premiers invités. Fais bonne figure, Rosalie.
    Les domestiques avaient allumé les lustres. A cinq heures du soir, une foule mondaine se retrouva devant les buffets. Delormel saluait, échangeait des phrases. Le général Carteaux causait avec un banquier belge de ce Buonaparte qu’il avait commandé à Toulon, et dont l’entourage de Barras vantait les talents d’artilleur :
    — Du talent, oui, disait le prudent Carteaux que Buonaparte avait dénigré, mais je n’ai jamais vu un tel entêté. Il ne veut en faire qu’à sa guise.
    — On le dit habile.
    — Je le crois opiniâtre.
    — Ce ne serait pas un vrai républicain ?
    — Si, sans doute...
    — Chers amis, dit Delormel, venez vous installer, notre concert va commencer.
    En s’asseyant dans l’autre salon, les invités ouvraient de grands yeux devant l’étrange clavecin. Ils n’avaient encore jamais vu un instrument de cette taille, avec des têtes de chats vivants qui bâillaient au-dessus du clavier.
    Monsieur Petitot se courba, une main sur son clavecin, puis il annonça :
    — Concerto pour huit chats.
    Il disposa un tabouret en face du clavier, s’y assit avec des gestes de maestro, se délia les doigts en faisant craquer ses articulations et ferma les yeux comme pour chercher une inspiration.
    — Huit chats? dit une vicomtesse

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