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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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à voix basse. J’en compte au moins vingt.
    — Des chats de secours, peut-être, dit un finaud. Eh oui, si l’un d’eux est enroué à force de miauler...
    Petitot tourna les pages de sa partition au-dessus des têtes de chats. Il se lança enfin, do , mi , ré , et les miaulements aigus se mélangeaient dans une bouillie sonore qui provoqua des éclats de rire soutenus. Petitot frappait ses touches, les lames d’acier frappaient les chats, les chats hurlaient, la cacophonie s’installait, les invités applaudissaient entre deux fous rires. Nicolas, le maître d’hôtel, sans interrompre la représentation, vint prévenir Delormel que des gens demandaient à le voir. Il ajouta un mot que Rosalie saisit :
    — Des soldats.
    Les grenadiers avaient investi l’entrée de l’hôtel; ils s’extasiaient sur les dorures. Leur lieutenant s’avança vers les Delormel mais ne s’adressa qu’au député :
    — Citoyen, on ramène le jeune homme.
    D’un geste il montra Saint-Aubin, inerte, que deux soldats portaient sous les bras et sous les jambes. Rosalie cria :
    — Il est mort!
    — Oh que non, dit le lieutenant, il est juste ivre mort.
    Rosalie s’agenouilla auprès de Saint-Aubin endormi ; il balbutiait des mots incohérents. Delormel leva un sourcil :
    — Comment savez-vous, lieutenant, que ce garçon habite ici ?
    — Je l’ai déjà conduit chez vous il y a quelque temps. Je l’avais arrêté dans les jardins des Tuileries hein ? Il avait une carabine militaire et ressemblait à un péquin, alors il a prétendu connaître le citoyen Barras, et il a dit aussi qu’il travaillait dans une Commission du château. J’ai vérifié et c’était vrai. Là, quand on l’a ramassé par terre, je l’ai reconnu. Tenez, citoyen représentant, je vous rends les pistolets qu’il avait sur lui.
    Delormel prit les deux pistolets d’arçon aux crosses ouvragées. Le lieutenant expliqua :
    — C'est son général qui lui a donnés devant moi, un général italien ou quelque chose comme ça.
    Nicolas et deux valets montaient le corps de Saint-Aubin dans la chambre de Rosalie; elle les suivait avec soulagement.
    — Nous vivons une époque bien compliquée, dit Delormel en empochant les pistolets.

CHAPITRE V
    Le pouvoir
    « Il est bien évident que je ne fais pas un roman, puisque je néglige ce qu’un romancier ne manquerait pas d’employer. Celui qui prendrait ce que j’écris pour la vérité serait peut-être moins dans l’erreur que celui qui le prendrait pour une fable. »
    (DENIS DIDEROT,
    Jacques le Fataliste et son maître )
    Dans les semaines qui suivirent la canonnade de Saint-Roch, le général Buonaparte se transforma. Pourtant, après cette journée brutale dont personne n’était fier à la Convention, qui le connaissait? Une poignée de députés, oui, des amis, quelques dames rencontrées dans les salons et qu’il avait amusées, les gendarmes qui avaient servi ses canons. Le peuple de Paris parlait surtout de Barras et de Danican, le chef des insurgés, parti chez le roi Louis XVIII à Blankenbourg, et plus encore du prix des haricots, trente-huit francs le plat, pensez donc, quand le mari gagne quarante francs par jour; et le vin à quinze francs, le café à dix francs la tasse. Buonaparte ne passionnait pas les foules et il le savait, même ses proches écorchaient son nom italien, ignoraient son extravagant prénom ou ne pouvaient le prononcer sans sourire. Ses protecteurs étaient venus à sa rescousse. Fréron, parce qu’il soupirait toujours auprès de sa sœur Paoletta, qu’on appelait Pauline, parla de lui à la Convention : « N’oubliez pas que le général d’artillerie Buonaparte n’a eu qu’une matinée pour réussir les dispositions savantes dont vous avez vu les effets ! » Barras loua ensuite le courage de ce jeune officier corse et demanda qu’on le nomme général en second de l’armée de l’intérieur, ce qu’il obtint sur-le-champ; il poussa même Napoléon au centre de la salle pour qu’il entende son décret de nomination. Là, pour la première fois, sous la tribune où les grands orateurs de la Révolution avaient pris la parole, le général étonna l’Assemblée par sa mine décavée, ses bottes craquées, ses galons de tissu. Il faisait à la fois très noble et très peuple, plut ainsi aux représentants et mérita une ovation.
    Sa vie en fut chamboulée.
    Vers la fin du mois d’octobre, le général avait des valets, un équipage, sa loge au

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