Le cheval de Troie
une si piètre opinion de ma personne.
— Cet Achille sait mieux que toi ce dont je suis capable ! Laisse donc un poignard à portée de ma main ! Alors tu verras ! Plutôt mourir que de rester captive !
Sa tristesse fit place au rire.
— Oh, oh ! N’y compte pas trop, femme. Ce qu’Achille a lié, jamais Phénix ne le déliera.
— Sa parole fait-elle loi ?
— Oui. Il est le prince des Myrmidons.
— Prince des fourmis ! Comme cela lui va bien !
Il se contenta de rire et m’avança une chaise. Je la contemplai avec dédain, pourtant le trajet à dos d’âne m’avait brisé les reins et mes jambes tremblaient, car j’avais refusé le boire et le manger depuis que j’étais prisonnière. Phénix, d’une main ferme, me força à m’asseoir puis déboucha une cruche de vin.
— Bois donc, femme. Tu auras besoin de forces si tu veux continuer à nous défier. Ne sois pas sotte.
Conseil plein de bon sens, et que je me hâtai de suivre. Mais le vin me monta à la tête et je fus incapable de lutter plus longtemps. Je portai les mains à mon front et m’endormis sur la chaise. Je ne m’éveillai que beaucoup plus tard. On m’avait couchée, enchaînée à une poutre.
Le lendemain, on me conduisit sur le pont. On attacha mes chaînes au bastingage pour que je pusse profiter du pâle soleil d’hiver et observer les allées et venues sur la plage. Quand quatre navires apparurent à l’horizon, je remarquai beaucoup d’agitation parmi les hommes. Soudain Phénix apparut, me détacha et m’entraîna non pas dans ma prison précédente, mais sur l’arrière-pont, dans un abri qui empestait le cheval. Là, il m’attacha à un barreau.
— Qu’est-ce donc ? demandai-je, curieuse.
— Agamemnon, le roi des rois, arrive, dit Phénix.
— Pourquoi me cacher ici ? Suis-je donc si insignifiante qu’on m’interdise de rencontrer le roi des rois ?
— N’est-il point de miroir en Dardanie, femme ? soupira-t-il. Il suffirait d’un regard pour qu’Agamemnon t’enlève à Achille.
— Je pourrais crier, répliquai-je, l’air songeur.
Il me dévisagea comme si j’étais devenue folle.
— À quoi bon changer de maître ? Tu le regretterais, crois-moi !
Il m’avait convaincue. Quand j’entendis parler près des écuries, je me dissimulai derrière une mangeoire. J’écoutais les sons purs et cadencés de la vraie langue grecque – ainsi que la puissance et l’autorité qui émanaient de l’une des voix.
— Achille n’est-il déjà de retour ? questionna la voix d’un ton impérieux.
— Non, seigneur, mais il devrait arriver avant la tombée de la nuit. Il lui a fallu surveiller le pillage. Un superbe butin. Les chars en ont été remplis.
— Parfait ! Je vais l’attendre dans sa cabine.
— Mieux vaut l’attendre dans une tente sur la plage, seigneur. Tu connais Achille. Il n’attache au confort nulle importance.
— Sans doute as-tu raison, Phénix.
Ils s’éloignèrent et je pus sortir de ma cachette. Cette voix fière et glaciale m’avait terrifiée. Achille aussi était un monstre, mais un monstre que l’on connaît est préférable à tout autre, à ce que disait ma nourrice.
Nul ne m’approcha de tout l’après-midi. Assise sur le lit d’Achille, j’examinai la cabine exiguë avec curiosité et n’y remarquai que deux objets de valeur : une ravissante fourrure blanche étendue sur le lit et une magnifique coupe d’or, à quatre anses surmontées d’un cheval au galop, gravée sur le pourtour de l’image du Père céleste sur son trône.
Soudain je sombrai dans un abîme de tristesse, sans doute parce que, pour la première fois depuis qu’on m’avait capturée, je n’étais point distraite par l’imminence du danger. J’étais assise là tandis que le cadavre de mon père gisait sur le tas d’ordures de Lyrnessos, prêt à être dévoré par les chiens de la cité. C’était le sort réservé aux nobles tués au combat. Je fondis en larmes et me jetai sur la couverture. Je n’entendis pas la porte s’ouvrir. Une main se posa sur mon épaule. Mon cœur battait à tout rompre. J’étais persuadée d’avoir été découverte par Agamemnon et n’avais plus envie de défier quiconque.
— J’appartiens à Achille ! criai-je à travers mes larmes.
— Je le sais. Qui est entré, d’après toi ?
— Le grand roi de Grèce.
— Agamemnon ?
J’acquiesçai d’un signe de tête.
Achille se dirigea vers
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