Le cheval de Troie
un coffre, l’ouvrit, fouilla à l’intérieur et me jeta un morceau de tissu.
— Prends, mouche-toi et essuie-toi le visage.
J’obtempérai. Il revint à côté de moi et regarda la couverture, l’air préoccupé.
— J’espère que tes larmes ne laisseront pas de traces. C’était un cadeau de ma mère. Phénix n’a-t-il donc pas trouvé moyen de te préparer un bain et de te donner une tunique propre ?
— Si, mais j’ai refusé.
— À moi tu ne refuseras pas. On emploiera la force pour t’y contraindre, s’il le faut. As-tu bien compris ?
— Oui.
— Bon. Comment t’appelles-tu ?
— Briséis.
— Briséis. « Qui toujours gagne. » Ne serait-ce pas une invention de ta part ?
— Mon père s’appelait Brisés. Il était cousin du roi Anchise. Son frère, Chrysis, était grand prêtre d’Apollon. Nous sommes de sang royal.
Le soir, un officier myrmidon entra et me conduisit jusqu’au bastingage. Une échelle de corde y était accrochée. Il me fit comprendre que je devais descendre, me précédant par courtoisie pour ne pas regarder sous ma tunique.
Une grande tente en cuir avait été dressée sur la plage. Le Myrmidon m’introduisit dans une pièce où étaient regroupées les captives de Lyrnessos. J’étais seule à porter des chaînes. Elles me dévisagèrent toutes alors que je cherchais un visage familier. Enfin, j’aperçus dans un coin une magnifique chevelure dorée. Ça ne pouvait être que ma cousine, Chryséis. Je la rejoignis, suivie de mon garde. Elle se jeta dans mes bras, en pleurs.
— Que fais-tu ici ? lui dis-je. Tu es la fille du grand prêtre d’Apollon, on ne peut te violer.
Elle hurla. Je la secouai.
— Arrête de pleurer ! Mais cesse donc !
— Ils m’ont prise quand même, Briséis, finit-elle par répondre.
— C’est un sacrilège.
— Ils prétendent que non. Mon père a revêtu une armure et s’est battu. Ils l’ont donc considéré comme un guerrier et m’ont prise.
— Prise ? Ils t’ont déjà violée ? demandai-je, ahurie.
— Non. Selon les esclaves qui m’ont habillée, seules les femmes du peuple sont données aux soldats. On réserve un sort particulier à celles qui se trouvent dans cette salle. Mais, Briséis, tu es enchaînée !
— Au moins on sait quelle est ma condition. Avec ça, nul ne saurait me prendre pour une putain.
— Oh, Briséis ! s’exclama-t-elle, choquée. (Je la choquai depuis notre plus tendre enfance.) Et oncle Brisés ?
— Mort, comme les autres.
— Tu ne le pleures donc pas ?
— Je le pleure en ce moment même ! répliquai-je. Cependant, j’ai appris des Grecs qu’une prisonnière doit garder son calme.
— Que faisons-nous ici ? questionna Chryséis.
— Dis-moi, que faisons-nous ici ? demandai-je au garde.
— Le grand roi de Mycènes est l’hôte d’honneur de la deuxième année. On partage le butin. Les femmes qui sont ici doivent être reparties entre les rois.
L’attente nous parut interminable. Trop fatiguées pour parler, Chryséis et moi étions assises par terre. De temps à autre un garde entrait et emmenait un petit groupe de femmes. Toutes étaient fort belles. Puis il n’y eut plus que nous deux.
Le garde nous jeta un voile sur la tête avant de nous conduire dans la pièce voisine. À travers le tissu j’entrevis une lumière éclatante qui provenait d’innombrables lampes, un dais et une foule d’hommes. On nous mena devant une longue estrade sur laquelle était dressée la table d’honneur.
Une vingtaine d’hommes étaient assis d’un côté, face aux convives. Au milieu, sur une chaise à haut dossier, trônait un homme qui ressemblait à Zeus tel que je l’avais toujours imaginé : un front noble, des sourcils sévères, des cheveux gris foncé, bouclés, qui retombaient sur des vêtements chatoyants et une grande barbe entrelacée de fils d’or. Il nous dévisageait tout en se caressant la moustache. C’était Agamemnon, le grand roi de Mycènes et de Grèce, le roi des rois.
Je détournai les yeux pour examiner ses compagnons. Achille était à sa gauche, mais j’eus peine à le reconnaître – je l’avais jusqu’à présent toujours vu en armure. Un collier d’or massif et de pierres précieuses tombait sur sa poitrine nue, des bracelets étincelaient à ses bras, ses doigts étaient ornés de bagues et des pendentifs en or se balançaient à ses oreilles. Il était rasé de près et ses cheveux
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