Le cheval de Troie
femme n’est qu’un bien qu’il possède. Il peut la maltraiter à son gré, sans craindre les représailles. Les femmes sont des créatures passives. Nous n’avons aucune autorité parce que les hommes nous jugent incapables de logique. C’est nous qui les mettons au monde, mais ils se hâtent de l’oublier.
— Tu n’es guère crédible quand tu t’apitoies sur ton sort, m’exclamai-je en bâillant.
— Tu me plais, affirma-t-elle avec un fin sourire. Parce que tu es très ambitieux et que tu me ressembles.
— Je te ressemble ? Vraiment ?
— Eh oui ! Je suis le jouet d’Aphrodite et toi, tu es son fils.
Elle se précipita alors dans mes bras avec fougue et me prodigua mille caresses, me faisant perdre la tête. Je la soulevai et l’emmena i jusque dans mes appartements à travers les couloirs silencieux. Personne ne nous vit. Je suppose que ma mère avait manigancé tout cela. Elle savait s’y prendre, la rusée !
Même quand le paroxysme de sa passion m’ébranla jusqu’au tréfonds de mon être, je sentis qu’une partie d’elle refusait d’admettre que je la possédais. Je connus les affres du plaisir mais, tandis qu’elle me vidait de toute mon énergie, elle gardait la sienne enclose dans une forteresse à jamais inaccessible.
21
Récit d’Agamemnon
L’armée avait depuis longtemps reçu des instructions pour la bataille, mais Priam demeurait derrière ses murs. Les Troyens cessèrent même de nous harceler de leurs raids. L’incertitude et l’inaction agaçaient mes troupes. N’ayant rien à discuter, je ne réunis aucun conseil jusqu’à ce qu’Ulysse apparût.
— Seigneur, voudrais-tu convoquer un conseil pour midi, aujourd’hui ? suggéra-t-il.
— Pourquoi ?
— Ne veux-tu pas savoir quelle ruse pourrait persuader Priam de quitter enfin sa cité ?
— Que concoctes-tu cette fois, Ulysse ?
— Seigneur, comment peux-tu me demander de te révéler mes secrets dès maintenant ?
— Très bien. Alors conseil à midi.
— Puis-je solliciter une dernière faveur, grand roi ?
— Laquelle ? dis-je avec prudence.
Il avait le sourire irrésistible dont il usait pour obtenir ce qu’il voulait. Je me sentis fléchir ; je ne pouvais rien faire d’autre quand Ulysse souriait ainsi.
— Un conseil restreint. Seulement certains hommes, précisa Ulysse.
— C’est ton conseil. Donne-moi leurs noms.
— Nestor, Idoménée, Ménélas, Diomède et Achille.
— Pas Calchas ?
— Surtout pas Calchas.
— J’aimerais savoir pourquoi tu le détestes tant, Ulysse. Si c’était un traître, à présent nous le saurions, c’est certain. Pourtant tu tiens absolument à l’exclure de tous les conseils importants. Il aurait eu d’innombrables occasions de livrer nos secrets aux Troyens, mais il ne l’a jamais fait.
— Il ignore certains de nos secrets. Tout comme toi, Agamemnon d’ailleurs. Je crois qu’il attend le secret qui vaudra la peine d’être livré à ceux qu’il a toujours chéris en secret.
— Très bien alors, pas de Calchas, fis-je, me mordillant les lèvres de dépit.
-- Et pas un mot de notre réunion, à personne. De plus, je veux qu’on cloue des planches en travers des portes et des fenêtres et que des gardes soient postés à l’extérieur.
— Ulysse ! N’exagères-tu pas un peu ?
— Je détesterais faire passer Calchas pour un imbécile, seigneur, alors il faudra bien que tout cela prenne fin durant la dixième année, répondit-il avec un sourire malicieux.
Les quelques hommes dont Ulysse avait proposé le nom arrivèrent en s’attendant à un conseil général et s’étonnèrent quand ils virent qu’ils étaient les seuls conviés.
— Pourquoi pas Mérione ? s’enquit Idoménée d’un ton grincheux.
— Et pourquoi pas Ajax ? intervint Achille.
Je m’éclaircis la voix tandis qu’ils s’installaient.
— Ulysse m’a demandé de vous réunir tous les cinq, ainsi que lui et moi. Le bruit que vous entendez est celui que font les gardes en condamnant les issues de cette pièce avec des planches. Ceci vous prouve mieux que je ne saurais le faire à quel point cette affaire est confidentielle. Chacun de vous doit s’engager par un serment à ne pas répéter à l’extérieur de ces murs ce qui s’y dira très bientôt.
Un par un, ils s’agenouillèrent et prêtèrent serment.
Ulysse commença à voix basse. C’était une de ses astuces. Il parlait si doucement qu’il
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