Le cheval de Troie
lentement l’un autour de l’autre ; Ménélas portait sa lance en avant, Pâris l’esquivait. Je n’avais jamais cru Ménélas capable de grand-chose mais, de toute évidence, Agamemnon savait ce qu’il faisait en proposant ce duel. J’avais eu tort de croire que Pâris l’emporterait haut la main. Bien que Ménélas ne possédât ni l’enthousiasme ni l’intuition d’un bon chef, il avait appris à se battre en duel avec la rigueur dont il faisait preuve en toute chose. Il manquait d’ardeur mais non de courage. Quand il jeta sa lance contre Pâris, elle fît tomber son bouclier. Face à une épée nue, Pâris préféra s’enfuir plutôt que dégainer la sienne. Il prit ses jambes à son cou et Ménélas le talonna aussitôt.
À présent notre victoire était certaine ; les Troyens gardaient le silence et nos hommes poussaient des cris de joie. Je ne quittai pas Hector des yeux ; un homme de principes qui avait commis une erreur de jugement. Si Ménélas tuait Pâris, il lui faudrait négocier. Sans qu’Hector eût fait le moindre geste, Pandaros, le capitaine de la garde royale encocha rapidement une flèche. Je poussai un cri pour avertir Ménélas qui s’arrêta et s’écarta d’un bond. Derrière moi, les soldats indignés hurlèrent. Ménélas était debout, la flèche plantée dans le flanc. Les Troyens, affligés, hurlèrent à leur tour. C’était un troyen qui avait rompu la trêve. Hector était déshonoré.
Les armées reprirent le combat avec plus d’acharnement encore que le matin ; les uns pour laver leur honneur souillé, les autres pour se venger d’une insulte et, de part et d’autre, on frappait d’estoc et de taille avec une férocité inouïe. Les soldats tombaient en grand nombre ; les cinq cents pas qui séparaient les lignes se réduisaient peu à peu. Bientôt il n’y eut plus qu’un enchevêtrement de corps et le nuage de poussière qui montait du sol nous aveuglait, nous suffoquait. Hector était partout à la fois, il allait et venait dans son char au centre de son armée, multipliant les coups de lance. Aucun de nous ne parvenait à s’en approcher suffisamment pour tenter de lui porter un coup. Les hommes mouraient, écrasés sous les sabots de ses trois chevaux noirs. Comment il frayait un passage à son attelage dans cette foule, je ne le compris pas en ce premier jour où se livrait une bataille rangée mais, plus tard, cela se répéta si souvent que je l’imitai et trouvai bientôt cela tout naturel. J’aperçus Énée suivi d’une phalange de Dardaniens. Comment, en pleine mêlée, avait-il pu venir depuis l’aile de l’armée où il se trouvait auparavant ?
J’abandonnai ma lance pour saisir mon épée, ralliai mes hommes et fonçai dans la masse, provoquant du haut de mon char un terrible carnage, frappant au hasard des visages ruisselants de sueur, ne perdant jamais de vue Énée tandis que je réclamais des renforts.
Agamemnon me les envoya, Ajax à leur tête. Énée les vit arriver et rameuta ses hommes, mais auparavant j’avais eu le privilège de voir ce véritable géant perpétrer autour de lui un effroyable massacre. Ajax n’avait pas sa hache. Pour ce premier jour de bataille, il avait préféré son épée à double tranchant haute de deux coudées, qu’il maniait comme une hache, me semblait-il, la faisant tournoyer autour de sa tête et hurlant de joie. Il savait se défendre mieux que quiconque avec son énorme bouclier qui jamais n’oscillait ni ne touchait le sol, et cette énorme masse de bronze et d’étain le protégeait de pied en cap. Six vigoureux capitaines de Salamine le suivaient et, à l’abri du bouclier se cachaient Teucer et son arc. Libre de ses mouvements, il encochait une flèche, la laissait filer, en prenait une autre dans son carquois et répétait le même geste, sans à-coups, à une cadence parfaitement régulière. Je vis des Grecs dans la foule, trop loin de lui pour apercevoir sa haute stature, sourire et reprendre courage en entendant le célèbre cri qu’Ajax lançait à Arès et à la maison d’Éaque : « Aii ! À mort ! Aii ! À mort ! » Entouré de mes hommes, je levai le bras pour le féliciter. Antiloque, qui le regardait plein d’admiration, relâcha les rênes de notre attelage. -Ils sont partis, grogna Ajax.
— Même Énée n’a pas voulu t’affronter, dis-je.
— Que Zeus les envoie au royaume des morts ! Pourquoi refusent-ils le combat ? Je rattraperai cet
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