Le cheval de Troie
front. Je fis donc conduire mon char par un soldat.
Aussi implacable qu’Arès, aussi insaisissable, Hector était dans son élément. Il arpentait le champ de bataille, aiguillonnant ses troupes d’une voix impérieuse. Ajax n’eut pas le loisir de le pourchasser : Hector faisait porter sur lui et Diomède tous les efforts de la garde royale, rivant sur place ses deux pires ennemis. Chaque fois qu’Hector donnait un coup de lance, un homme mourait : il était aussi habile qu’Achille. Si une brèche apparaissait dans nos lignes, il y introduisait ses hommes puis, une fois qu’ils les avaient pénétrées, il en appelait encore davantage.
Oh ! Quelle douleur m’étreignit ! Quel chagrin, quelle détresse ! Les larmes m’aveuglèrent quand un autre de mes fils tomba, éventré par la lance d’Énée. Presque aussitôt, Antiloque faillit se faire trancher la tête d’un coup d’épée. Pas lui, je t’en supplie, miséricordieuse Héra ! Tout-puissant Zeus, ne me prends pas mon Antiloque !
De temps à autre, des hérauts venaient m’informer de ce qui se passait sur le reste du champ de bataille. Je remerciai les dieux que nos chefs fussent indemnes. Puis, peut-être parce que nos hommes étaient fatigués, ou bien parce que les quinze mille Thessaliens d’Achille nous faisaient cruellement défaut, ou pour quelque autre raison encore plus mystérieuse, nous commençâmes à perdre du terrain. Lentement, imperceptiblement, le front s’éloignait des remparts de la cité et se rapprochait de nos propres murs.
Hector fondit alors sur nous. J’appelai désespérément à l’aide quand je vis son char s’avancer dans la mêlée. La chance était avec moi : Diomède et Ulysse étaient tout près. Diomède ne tenta pas d’affronter Hector mais préféra se concentrer sur son aurige, qui semblait nettement manquer d’expérience. Sa lance l’atteignit alors qu’il était accroupi. Son corps tira sur les rênes jusqu’à ce que les chevaux, blessés par le mors, se mettent à broncher. Aidés d’Ulysse, nous nous éloignâmes sans encombre, tandis qu’Hector coupait les rênes en jurant.
Je tentai de regagner ma section du front, mais ce fut impossible. La peur se répandait parmi les troupes, on parlait de mauvais présages. Aucun de nous ne pouvait plus se faire d’illusions : l’armée était en déroute. Hector s’en rendit compte et lança, avec un cri de triomphe, toutes ses réserves dans le combat.
Ce fut Ulysse qui nous sauva. Il sauta dans un char vide et ramena au combat les soldats qui s’enfuyaient, les forçant à céder le terrain pas à pas et en bon ordre. Agamemnon suivit immédiatement son exemple ; ce qui aurait pu devenir une débâcle fut accompli avec un minimum de pertes et sans donner l’impression d’une totale débandade. Diomède fit ensuite charger ses Argiens contre les Troyens qui avançaient et je le suivis avec Idoménée, Eurypile, Ajax et tous leurs hommes.
Teucer était dans son coin, abrité par le bouclier de son frère.
Il lançait toujours ses flèches avec régularité et précision. En apercevant Hector, il sourit et encocha une autre flèche. Mais Hector était trop rusé pour tomber sous une flèche alors qu’il se trouvait dans le voisinage d’Ajax. Il para les flèches l’une après l’autre avec son bouclier, ce qui courrouça Teucer au point de lui faire commettre une faute : il sortit de sa cachette. Hector s’y attendait. Il n’avait plus de lance depuis longtemps, mais il trouva un rocher et le lança sur Teucer qui, atteint à l’épaule droite, s’affala, tel un taureau sacrifié. Trop absorbé pour le remarquer, Ajax continua de combattre. Mon cri de soulagement fut repris par une douzaine de voix quand la tête de Teucer réapparut et qu’on le vit ramper sur les cadavres et les blessés pour aller se terrer auprès d’Ajax. Mais il n’était à présent qu’un poids mort que son frère devait traîner ; les Troyens chargèrent alors.
Je jetai un regard désespéré vers nos arrières, pour voir à quelle distance nous nous trouvions de notre mur. Je restai pétrifié : notre arrière-garde franchissait déjà les gués !
Ulysse et Agamemnon parvinrent à éviter la panique. Notre retraite s’acheva sans trop de pertes et nous trouvâmes refuge derrière le mur de notre camp. Il faisait trop sombre pour qu’Hector pût nous y suivre. Demeurés derrière le fossé et la palissade, les Troyens nous
Weitere Kostenlose Bücher