Le cheval de Troie
aussi indispensable à la procréation que la femme en qui s’en développe le fruit. Avant cette découverte, on considérait l’homme comme un luxe coûteux.
Les quinze premières années de la vie d’une femme, avant ses premières règles, étaient consacrées exclusivement à la déesse vierge. Après quoi elle se retirait de l’armée, prenait un mari et avait des enfants. Seule la reine ne se mariait jamais ; elle abandonnait son trône à l’âge où les autres quittaient le service d’Artémis, mais au lieu de prendre un mari, elle se sacrifiait à son peuple en se faisant décapiter à la hache.
Ulysse nous apprit ce que nous ne savions pas sur les Amazones. Ce qui nous surprenait le plus, c’était qu’elles montaient à cheval. Il est difficile de se tenir sur un cheval : sa peau est glissante et une couverture ne reste pas en place sur son dos. Seule sa bouche peut servir à quelque chose, car on peut y insérer un mors relié à un harnais et à des rênes. C’est pourquoi on utilisait des chevaux pour tirer des chars. Comment donc les Amazones réussissaient-elles à monter à cheval pour se battre ?
Pendant que les Troyens pleuraient Hector, nous nous reposâmes. Le treizième jour, je revêtis l’armure que m’avait donnée Ulysse et la trouvai plus légère. Nous franchîmes les gués avant les premières lueurs de l’aube. De longues colonnes de soldats traversèrent la plaine humide de rosée, précédées de quelques chars. Agamemnon avait décidé de prendre position face à la porte Scée, à environ deux mille pas des murailles.
Nos ennemis nous attendaient, moins nombreux qu’auparavant, mais nous surpassant toujours en nombre. La porte Scée était close.
La horde des Amazones avait pris place au centre de l’avant-garde troyenne. Je les examinai depuis mon char. Elles montaient de grands chevaux hirsutes, affreux, à la crinière et à la queue coupées ras, aux pâturons garnis de longs poils. Leur robe était uniformément baie ou marron, à l’exception d’un magnifique animal blanc placé au centre. Ce devait être le cheval de la reine Penthésilée. J’observai comment ces femmes gardaient leur assise. Quelle ingéniosité ! Chaque guerrière se calait les hanches et le postérieur dans une sorte d’armature en cuir attachée sous le ventre du cheval afin qu’elle restât en place.
Les Amazones portaient un casque de bronze et étaient vêtues de cuir épais. Leurs armes de prédilection étaient de toute évidence l’arc et les flèches, bien que quelques-unes eussent une épée à la ceinture.
Les trompes et les tambours retentirent, annonçant le combat. Je me redressai, la Vieille Pélion à la main, mon bouclier posé sur l’épaule gauche. Agamemnon avait groupé ses chars, bien peu nombreux, en première ligne, face aux Amazones.
Les femmes se ruèrent parmi les chars, en criant et hurlant comme des harpies. Les flèches sifflèrent au-dessus de nos têtes et atterrirent parmi les fantassins derrière nous. Cette pluie mortelle et ininterrompue ébranla même mes Myrmidons. Ils n’étaient pas habitués à un adversaire qui engageait le combat à distance, les empêchant de rendre coup pour coup. Je rapprochai mes quelques chars les uns des autres et contraignis les Amazones à s’en éloigner, m’aidant de la Vieille Pélion et détournant les flèches avec mon bouclier. Je criai aux autres d’en faire autant. Comme c’était surprenant ! Ces femmes étranges ne prenaient pas nos chevaux pour cibles !
Automédon vira soudain pour éviter une Amazone qui lançait droit sur nous son cheval, dont les sabots étaient suffisamment gros pour fracasser le crâne d’un homme. Je saisis un javelot, le lançai, et criai de plaisir lorsqu’il désarçonna la cavalière, qui tomba et fut piétinée par sa propre monture. Alors je posai ma Vieille Pélion et saisis ma hache.
— Je descends, mais ne t’éloigne pas, dis-je à Automédon.
— Non, Achille ! Tu vas être écrasé !
J’éclatai de rire.
— Oubliez la taille des chevaux ! criai-je aux Myrmidons. Elles ne s’attaqueront pas à nos chevaux, mais nous tuerons les leurs. Un cheval abattu, c’est une cavalière en moins.
Les Myrmidons me suivirent sans plus hésiter. Certains furent mutilés et écrasés par les chevaux des Amazones, mais la plupart résistèrent malgré le déluge de flèches. Ils lacéraient les ventres aux longs poils et esquivaient les coups de sabots.
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