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Le cheval de Troie

Le cheval de Troie

Titel: Le cheval de Troie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Colleen McCullough
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d’entre nous qui sont tombés et offre-nous des libations.
    Je tranchai la tête de Memnon et jetai son corps aux pieds de Nestor. Nous reprîmes courage, ce jour-là ; le bref réveil des Troyens avait pris fin. Ils battirent lentement en retraite à travers la plaine, tandis que je tuais encore et encore, saisi d’une angoisse qui m’était inhabituelle. J’avais l’impression que mon bras manquait de vigueur, pourtant la hache frappait toujours aussi souvent et mortellement. Comme je me frayais un chemin, sacrifiant les meilleurs Hittites que le roi Hattusilis pût aligner sur l’autel ensanglanté de Troie, je finis par être écœuré de tout ce carnage. Au fond de moi, j’entendis une voix qui soupirait, sans doute celle de ma mère, voilée de larmes.
    À la fin de la journée, j’allai présenter mes respects à Nestor et assistai aux derniers rites funèbres en l’honneur d’Antiloque. Nous déposâmes le garçon auprès de ses quatre frères dans l’hypogée creusé dans la falaise et réservé à la Maison de Nélée, puis nous plaçâmes Memnon à ses pieds dans la position d’un chien. Mais je ne pus supporter l’idée même de participer aux jeux funèbres et au festin. Je m’esquivai. Briséis m’attendait.
    — Tu apaises toujours mon âme endolorie, dis-je en lui prenant la tête entre les mains.
    — Assieds-toi et tiens-moi compagnie.
    Je m’assis mais demeurai muet. Un froid épouvantable me glaçait le cœur. Elle continua de bavarder gaiement puis me regarda et perdit tout entrain.
    — Qu’y a-t-il, Achille ?
    Je sortis et levai les yeux vers l’immensité du ciel.
    — Qu’as-tu, Achille ? répéta-t-elle.
    — Oh, Briséis, je suis bouleversé jusqu’au tréfonds de mon être ! Jamais, jusqu’à présent, je n’avais perçu la caresse du vent, humé la douceur de la vie, aperçu la clarté des étoiles avec autant d’intensité !
    — Rentre, dit-elle en me tirant par le bras.
    Je m’assis tandis qu’elle se pelotonnait à mes pieds, m’étreignant les genoux et scrutant mon visage.
    — Achille, c’est ta mère ?
    — Non, répliquai-je en souriant, lui prenant le menton dans la main, ma mère m’a abandonné pour de bon. Elle m’a fait ses adieux en pleurant. On m’appelle, Briséis. Le dieu m’a enfin appelé. Je me suis toujours demandé ce que j’éprouverais. Je n’avais jamais imaginé un instant que ce serait cette prise de conscience aiguë de la douceur de vivre. Je croyais que ce serait un délire de gloire et de joie, un élan irrésistible qui m’entraînerait vers l’ultime combat. Bien au contraire, je connais la sérénité et la miséricorde. Je me sens enfin en paix. Nul regret du passé, nulle crainte de l’avenir. Demain, c’est la fin. Demain je cesserai d’être. Le dieu a parlé. Il ne me quittera plus.
    Elle se mit à protester, mais je l’interrompis d’un geste.
    — Un homme doit prendre congé dignement, Briséis. C’est la volonté du dieu et non la mienne. Je ne suis ni Héraclès ni Prométhée pour lui résister. Je suis mortel. J’ai vécu trente et un ans, mais j’ai vu et ressenti plus de choses que la plupart des hommes qui voient cent foisles feuilles des arbres prendre la couleur de l’or. Je ne veux pas survivre aux murailles de Troie. Tous les grands guerriers finiront ici. Je ne saurai leur survivre. Je rencontrerai l’ombre d’Iphigénie et celle de Patrocle sur l’autre rive. Nos haines et nos amours appartiennent au monde des vivants. Aucun sentiment aussi fort ne peut exister dans celui des morts. J’ai fait de mon mieux. C’est fini à présent. J’ai prié pour que les générations à venir continuent à célébrer mon nom. C’est la seule immortalité qu’un homme puisse espérer. Le monde des morts n’apporte ni joie ni peine. Si mon combat avec Hector peut revivre un million de fois sur les lèvres des vivants, jamais je ne mourrai vraiment.
    Elle pleura, pleura. Son cœur de femme ne pouvait comprendre la complexité de la trame du temps. Aussi ne put-elle se réjouir avec moi. Mais il vient un moment où le chagrin est si profond qu’on ne peut même plus pleurer. Ainsi elle resta étendue, immobile et silencieuse.
    — Si tu meurs, je mourrai, dit-elle alors.
    — Non, Briséis, tu dois vivre. Retrouve mon fils, Néoptolème, épouse-le. Donne-lui les fils que je n’ai pas eus de toi. Nestor et Agamemnon veilleront à ce que cela se passe ainsi. Ils l’ont

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