Le cheval de Troie
du calme. Sûrement, tu ne pouvais attendre une réponse différente, fis-je remarquer.
— Non, sans doute, admit-il en rouvrant les yeux. Merci Hector. Comme toujours tu me rappelles à la réalité, si dure soit-elle. Mais pourquoi les Grecs peuvent-ils tout se permettre ? Pourquoi peuvent-ils enlever une princesse troyenne en toute impunité ?
— Moi, père, j’ai châtié l’arrogance grecque, déclara Pâris, un éclair dans le regard.
— Et comment, mon fils ?
— Œil pour œil, dent pour dent ! Les Grecs ont volé ta sœur, moi j’ai ramené de Grèce une prise plus extraordinaire encore qu’une fillette de quinze ans ! Seigneur, poursuivit Pâris, d’une voix si forte qu’elle résonna dans la salle, je t’ai ramené Hélène, reine de Lacédémone, femme de Ménélas, le frère d’Agamemnon et sœur de Clytemnestre, la femme d’Agamemnon.
Je titubai, incapable de trouver mes mots. Anténor en profita pour lancer :
— Imbécile, crétin, séducteur de pacotille, pendant que tu y étais, pourquoi n’as-tu pas enlevé Clytemnestre ? Les Grecs courbent déjà la tête sous le poids des interdictions de naviguer, ils souffrent de la pénurie d’étain et de cuivre. Penses-tu qu’ils accepteront ce nouvel outrage ? Pauvre fou ! Tu as donné à Agamemnon l’occasion qu’il attend depuis des années. Tu nous as plongés dans une guerre qui sera la ruine de Troie ! Espèce de fat, d’écervelé ! Comment ton père a-t-il pu ignorer ta bêtise ? Pourquoi n’a-t-il pas mis un terme à ta carrière de débauché dès le début ? Quand nous aurons récolté ce que tu as semé, aucun Troyen ne prononcera ton nom sans mépris.
J’approuvais en silence ce qu’avait dit le vieil homme ; il exprimait exactement mon point de vue. Toutefois je ne pus que maudire Anténor. Qu’aurait décidé mon père si mon oncle avait tenu sa langue ? Le roi prenait toujours le contre-pied d’Anténor.
— Père, j’ai fait ça pour toi, affirma Pâris, bouleversé.
— C’est bien cela ! railla Anténor. As-tu oublié le plus célèbre de nos oracles ? « Méfie-toi de la femme ramenée de Grèce à Troie comme trophée ! » N’est-il pas assez clair ?
— Non, je ne l’ai pas oublié ! cria mon frère. Hélène n’est pas un trophée ! Je ne l’ai pas enlevée. Elle est venue avec moi de son plein gré, parce qu’elle veut m’épouser ! Elle a apporté, comme preuve de sa bonne foi, un véritable trésor : de l’or et des bijoux, en quantité suffisante pour acheter un royaume. Une dot, père, une dot ! En fait j’ai insulté les Grecs plus gravement encore que si je l’avais enlevée, je les ai faits cocus !
Abasourdi et conscient de son impuissance, Anténor secouait sa crinière blanche. Pâris me regarda d’un air implorant.
— Hector, prends mon parti !
— Et comment le pourrais-je ? dis-je entre mes dents.
Il tomba à genoux et entoura de ses bras les jambes du roi.
— Quel mal cela peut-il causer, père ? Quand donc la fuite volontaire d’une femme a-t-elle causé une guerre ? Hélène vient de son plein gré ! Ce n’est plus une gamine ; elle a vingt ans ! Elle est mariée depuis six ans, elle a des enfants ! Essaie d’imaginer combien sa vie a dû être terrible, pour qu’elle abandonne ainsi enfants et royaume ! Père, je l’aime ! Et elle m’aime !
Sa voix s’étrangla et ses larmes se mirent à couler.
— Je veux bien la voir, dit le roi en caressant tendrement les cheveux de Pâris.
— Non, attends, intervint Anténor. Seigneur, avant de voir cette femme, écoute-moi. Renvoie-la à Ménélas avec tes excuses et tous les trésors qu’elle a apportés et conseille qu’on la décapite. C’est tout ce qu’elle mérite. L ’ amour ! Quelle sorte d’amour peut pousser une mère à abandonner ses enfants ?
Mon père ne le regardait pas. Il devait deviner ce que nous pensions, car il n’essaya pas de l’interrompre. Anténor continua donc.
— Priam, je crains le grand roi de Mycènes et tu devrais le craindre aussi. Tu as sûrement entendu Ménélas expliquer l’an dernier qu’Agamemnon a fait de toute la Grèce une vassale de Mycènes. Et s’il décidait de nous faire la guerre ? Même si nous vainquons, nous serons ruinés. La richesse de Troie s’est constamment accrue pour une seule et unique raison : Troie a toujours évité la guerre. Les guerres mènent les nations à la ruine, Priam, tu
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