Le cheval de Troie
ont il y a sept ans prononcé le serment de l’étalon au roi Tyndare. Il devra leur dire : « Roi – ou prince, ou seigneur – moi, ton suzerain Agamemnon, roi des rois, t’ordonne de venir sur-le-champ à Mycènes pour t’entretenir du serment fait lorsque la reine Hélène a été accordée au roi Ménélas. » Tu te rappelleras ce message ?
— Oui, seigneur, répondit le chef des hérauts, très fier de sa mémoire.
— Alors va, exécute mon ordre.
Clytemnestre et moi nous étions débarrassés de Ménélas en lui conseillant d’aller prendre un bain. Il s’était éloigné, tout heureux son grand frère Agamemnon avait la situation bien en main, il pouvait enfin se détendre.
— « Grand roi de Grèce » est un titre magnifique, mais « grand roi de l’Empire grec » sonne encore mieux, déclara Clytemnestre.
— C’est ce que je pense aussi, femme, répondis-je avec un sourire.
— J’aime l’idée qu’Oreste héritera de ce titre, continua-t-elle l’air songeur.
Cette remarque était révélatrice de la nature profonde de Clytemnestre. Ma reine avait l’esprit d’un chef et répugnait à se plier à une volonté – aussi puissante fût-elle. Je connaissais ses ambitions, elle désirait régner à ma place, ranimer l’ancienne religion et réduire le roi au rang de symbole vivant de sa fertilité. Le culte de Mère Kubaba était vivace en l’île de Pélops. Notre fils Oreste, encore très jeune, était né alors que je désespérais d’avoir jamais de garçon. Ses deux sœurs, Électre et Chrysothémis, étaient alors déjà adolescentes, la naissance d’un enfant mâle fut un coup terrible pour Clytemnestre ; elle avait espéré régner par le biais d’Électre quand cette dernière aurait accédé au trône, bien que récemment elle eût reporté son affection sur Chrysothémis. Mais Clytemnestre était ingénieuse. Maintenant qu’Oreste, enfant vigoureux, avait toutes les chances de me succéder, sa mère espérait que je mourusse avant qu’il fût majeur, ce qui lui permettrait de régner.
Certains de ceux qui avaient prêté serment arrivèrent à Mycènes avant que Ménélas ne revînt de Pylos avec le roi Nestor, qu’il était allé chercher. La distance était grande entre Mycènes et Pylos. Il y avait des royaumes bien plus proches. Je fus heureux de revoir Palamède, fils de Nauplios, qui arriva rapidement. Seuls Ulysse et Nestor le surpassaient en sagesse.
Je conversais avec Palamède dans la salle du trône, lorsque je remarquai une agitation parmi les rois de moindre importance. Palamède étouffa un rire.
— Par Héraclès, quel colosse ! Ce doit être Ajax, fils de Télamon. Mais pourquoi vient-il donc ? C’était un enfant à l’époque du serment, que son père n’a d’ailleurs jamais prêté.
Ajax s’avançait lentement vers nous. Il dominait tout le monde d’au moins une ou deux coudées. Il pratiquait les sports toute l’année et par tous les temps, aussi était-il pieds et torse nus. Je ne pouvais détacher mon regard de sa massive poitrine. Il n’y avait pas une once de graisse sur ses muscles saillants et j’avais l’impression qu’il ébranlait les murs de la salle à chaque pas.
— On murmure que son cousin Achille est presque aussi grand.
— Que nous importe ! Le roi Pélée, son père, croit la Thessalie suffisamment forte pour être indépendante. Ils ne nous aideront pas.
— Sois le bienvenu, fils de Télamon, déclarai-je. Quel bon vent t’a poussé jusqu’à nous ?
Il me dévisagea d’un air calme, de ses yeux gris au regard d’enfant.
— Je viens t’offrir les services de Salamine, seigneur, en lieu et place de mon père, qui est souffrant. Il pense que je tirerai profit de cette expérience.
Voilà qui me satisfaisait fort. Je déplorai l’arrogance de Pélée. Télamon, lui, savait rendre hommage à son grand roi, alors que je chercherais en vain l’aide de Pélée, d’Achille et des Myrmidons.
— Tu peux être assuré de notre gratitude, fils de Télamon.
En souriant, Ajax se dirigeait vers quelques-uns de ses amis, quand soudain il se tourna vers moi.
— Seigneur, j’ai omis de te dire que mon frère Teucer est avec moi. Il a fait le serment.
Palamède riait toujours sous cape.
— Allons-nous ouvrir un jardin d’enfants, seigneur ?
— Pourquoi pas ? Mais c’est dommage qu’Ajax soit un tel sot. Toutefois, il ne faut point mépriser les troupes de Salamine.
À
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