Le cheval de Troie
infligèrent quelques pertes. Puis, un guerrier géant vêtu d’une armure en or abattit Iolaos et le tailla en pièces à coups de hache.
Mais d’autres navires accostaient déjà. À ma gauche, les hommes sautaient par-dessus bord directement dans la mêlée, sans attendre les échelles. Je mis mon casque, ajustai ma cuirasse de bronze et saisis ma hache à deux mains. Cette arme magnifique avait fait partie du butin que Minos avait rapporté d’une campagne à l’étranger. Elle était beaucoup plus grosse et plus lourde qu’une hache crétoise. Nul besoin de ma lance dans un corps à corps. Il n’y avait qu’Ajax et moi pour choisir une hache dans ce genre de combat et je n’avais qu’un désir, m’attaquer au géant à l’armure d’or qui avait tué Iolaos.
Une secousse m’avertit que nous avions abordé, une autre lui succédant immédiatement ; j’en perdis presque l’équilibre. Jetant un coup d’œil derrière moi, je vis qu’Automédon avait amarré son navire au mien et que ses soldats traversaient le pont. Je bondis jusqu’à la proue, d’où je dominais une multitude de têtes parmi lesquelles je ne pouvais distinguer amis et ennemis. J’étais le point de mire pour les soldats qui affluaient derrière moi. Ceux d’Alcimos traversaient maintenant le pont du navire d’Automédon et arrivaient, de plus en plus nombreux.
Alors je brandis ma hache, très haut au-dessus de ma tête, poussai le cri de guerre des Myrmidons et me jetai dans la masse houleuse des corps. La chance me sourit ; j’atterris sur le crâne d’un Troyen, qui éclata sous le choc. Je m’affalai avec lui, tenant toujours ma hache en main. En un instant je fus debout et poussai le cri de guerre, aussi fort que je pus, jusqu’à ce que les Myrmidons reprennent en chœur cet effroyable appel à la tuerie. Encore un coup de chance : on pouvait reconnaître les Troyens au plumet pourpre de leur casque, alors que, dans le camp grec, seuls les quatre grands rois et Calchas avaient droit à cette couleur.
On me lançait des regards furieux, une douzaine d’épées me menaçaient, mais j’abattis ma hache avec une telle vigueur que je fendis un adversaire en deux du crâne à l’aine. Cette prouesse brisa l’élan des Troyens. Mon père m’avait toujours recommandé une extrême férocité dans les corps à corps, pour faire instinctivement reculer l’ennemi. Cette fois je décrivis des cercles avec ma hache et pourfendis ceux qui étaient assez stupides pour tenter de m’approcher.
Patrocle protégeait mes arrières de son bouclier tandis que débarquaient des milliers de Myrmidons. Je progressai, fauchant de ma hache tous les porteurs d’un plumet pourpre. J’avais juré de tenir le compte de mes victimes, mais je fus bientôt trop excité pour les dénombrer, tant j’avais de plaisir à transpercer le bronze et à sentir la chair molle qui cédait.
Pour moi plus rien n’existait que le sang, l’épouvante, la fureur et les ennemis ; les courageux qui tentaient en vain de détourner ma hache avant de succomber à mes coups, les poltrons qui, terrifiés face à leur destin, marmonnaient des mots inintelligibles et, pire encore, les lâches qui tournaient le dos et essayaient de fuir. Je me sentais invincible, j’étais persuadé que nul ne pourrait m’abattre. La rage de vaincre était en moi. Une véritable folie meurtrière. Ma hache dégoulinait de sang qui ruisselait le long du manche, pénétrait les fibres de la corde enroulée à sa base. Par-delà le bien et le mal, j’étais tout à ma folie sanguinaire. Voilà pourquoi on m’avait laissé vivre, pourquoi j’étais resté mortel : pour devenir une parfaite machine de guerre.
Peu m’importait qui gagnait ou perdait, du moment que moi je gagnais. Si Agamemnon avait combattu à mes côtés, je ne m’en serais pas aperçu. Je ne me rendais même pas compte de la présence de Patrocle, alors que c’est grâce à lui si je survécus à ce premier combat, car il empêcha les Troyens de m’attaquer à revers.
Soudain, un bouclier me barra le passage. Je frappai de toutes mes forces pour voir le visage qu’il dissimulait mais, avec la rapidité de l’éclair, l’homme fit un écart et son épée me frôla le bras droit. J’exultai lorsqu’il baissa son bouclier pour mieux m’observer. Il était vêtu d’or. Enfin un prince ! La hache avec laquelle il avait terrassé Iolaos avait été remplacée par une longue épée. C’était
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