Le cheval de Troie
cuvette pour les isoler des autres hommes. Les commandants croyaient que je bâtissais une prison pour y enfermer toutes les fortes têtes !
Quand vint l’automne, tout était prêt. Je réunis mes recrues dans la salle principale du grand bâtiment pour leur faire un discours, tandis que je montai sur l’estrade, trois cents paires d’yeux étaient fixées sur moi, des regards circonspects ou curieux, méfiants ou inquiets. Je m’assis sur un siège royal aux pieds sculptés, Diomède a ma droite. Le silence se fit.
— Vous vous demandez pourquoi je vous ai fait venir ici. Je vais vous l’expliquer. Vous avez tous certains traits de caractère qui vous font détester de vos commandants. Aucun de vous n’est un bon soldat, soit que vous mettiez en danger la vie d’autrui, soit que vous empoisonniez tout le monde avec vos bêtises ou vos plaintes incessantes. Je veux que ceci soit bien clair, vous avez été choisis parce que nul ne vous aime.
Je m’interrompis et ne prêtai pas attention à ceux qui exprimaient surprise, colère, indignation. Certains parvinrent à garder un visage impassible, et je gravai leurs traits dans mon esprit ; c’étaient là des hommes qui avaient une compétence et une intelligence supérieures.
Tout avait été prévu. Hakios, un officier sûr, commandait la garde d’Ithaque postée autour du bâtiment. Il avait ordre de tuer tout homme qui en sortirait avant moi. Ceux qui n’étaient pas d’accord avec mes conditions ne seraient pas autorisés à rejoindre les rangs de l’armée. Ils seraient abattus.
— Vous êtes-vous rendu compte de l’insulte qui vous a été faite ? continuai-je. Les traits de caractère que les gens comme il faut détestent en vous sont pour moi des qualités dont je compte tirer avantage. Vous en serez récompensés : vous vivrez dans des quartiers dignes de princes, vous ne ferez aucun travail manuel, les premières femmes qui feront partie du butin seront pour vous. Vous constituerez un corps d’élite sous mon commandement. Moi, Ulysse d’Ithaque, serai votre seul chef.
Je leur signalai ensuite que la tâche qu’ils devraient accomplir serait dangereuse et conclus en ces termes :
— Un jour les gens de votre espèce seront célèbres. Vos actions permettront de gagner ou de perdre les guerres. Chacun d’entre vous a plus de valeur à mes yeux que mille fantassins. Comprenez bien l’honneur qui vous est fait. Avant d’en venir aux détails, je vous demande de débattre entre vous de ma proposition.
Le silence se fit quelques instants. Puis, comme les conversations s’engageaient, je scrutai les visages. Une douzaine d’entre eux paraissaient résolus à décliner mon offre. Il y en eut un qui se leva et partit, suivi de quelques autres. J’aperçus Hakios par la porte ouverte. Tout se passa dans le plus parfait silence. Huit autres s’en allèrent. Hakios continuait à appliquer mes instructions. S’ils ne regagnaient jamais leurs compagnies, on supposerait qu’ils étaient toujours avec moi. S’ils n’étaient pas avec moi, on supposerait qu’ils avaient regagné leurs compagnies. Seuls Hakios et ses hommes seraient au courant.
Deux hommes en particulier m’intéressaient. L’un était le cousin de Diomède, Thersite. Il était compétent et le bruit courait que Sisyphe l’avait engendré. L’autre, je le connaissais bien. C’était mon cousin Sinon, un homme expérimenté, qui brûlait déjà d’exercer son nouveau métier. Thersite et Sinon, les yeux rivés sur moi, ne bougèrent pas d’un pouce.
— Continue, seigneur, explique-nous la suite, déclara Thersite.
Je leur donnai tous les détails.
— Vous voyez pourquoi je vous considère comme les hommes les plus précieux de l’armée. Que vous me transmettiez des renseignements ou que vous donniez du fil à retordre à ceux qui administrent Troie, vous jouerez un rôle capital. Vous disposerez d’un système de communication à toute épreuve. Votre tâche sera certes dangereuse, mais vous aurez reçu une solide formation pour en affronter les dangers. Par ailleurs, c’est une tâche que vous trouverez sans nul doute passionnante. Réfléchissez à tout cela en attendant mon retour.
Diomède et moi nous retirâmes dans une salle voisine pour y bavarder et boire du vin.
— Je présume, dit Diomède, que nous irons aussi à Troie de temps à autre ?
— Bien sûr. Afin que des hommes comme eux nous respectent, il faut prouver que nous
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