Le clan de l'ours des cavernes
au rang de chacun.
Les femmes avaient pris place d'un côté de l'assemblage de branches mortes, et les hommes de l'autre, chacune et chacun selon sa position hiérarchique.
Seul Mog-ur ne se trouvait pas parmi eux.
Brun fit signe à Grod qui s'avança dignement, sans se presser, et sortit de sa corne d'aurochs le charbon ardent provenant en ligne directe du feu allumé dans l'ancienne caverne. La survie de ce feu était étroitement liée à celle du clan. L'allumer à l'entrée de leur nouvelle demeure consacrait la possession et la pérennité de celle-ci.
La maîtrise de ce feu était primordiale pour l'homme en ces régions froides. La fumée même possédait des vertus. Son odeur seule suscitait le sentiment de sécurité d'avoir un abri. La fumée pénétrerait dans la caverne, monterait jusqu'à la vo˚te, s'insinuerait dans les fissures de la roche, éloignerait les forces du mal, assainirait la grotte et l'imprégnerait de l'essence même de l'homme.
Allumer le feu n'était qu'un des rites marquant l'inauguration d'une nouvelle caverne. L'un d'eux avait pour but de familiariser les esprits des totems protecteurs avec leur nouvelle résidence. Célébré par Mogur, ce rituel s'accomplissait sous la direction du sorcier par sexes séparés. A cette occasion, c'était Iza qui préparait le breuvage de la cérémonie consacrée aux hommes.
L'heureuse issue de la chasse avait témoigné de l'approbation des totems, et le festin confirmait leur intention d'en faire un lieu de résidence permanent, même si le clan était appelé à s'absenter plus ou moins longuement à certaines époques. Les esprits totémiques voyageaient également, mais tant que les membres du clan étaient en possession de leurs amulettes, leurs totems pouvaient les rejoindre depuis la caverne à chaque fois que leur présence était requise.
Dans la mesure oŸ les esprits étaient forcément présents lors de la cérémonie d'inauguration d'une caverne, d'autres rituels pouvaient y être adjoints. Dans ce cas, ces derniers, associés à un événement aussi solennel que l'entrée en possession d'une nouvelle demeure, s'en trouvaient considérablement grandis.
C'était à Mog-ur qu'incombait le soin de décider des rituels susceptibles d'être associés, une t‚che dont il ne s'acquittait toutefois qu'en accord avec Brun. Ainsi la consécration de leur nouvelle caverne allaitelle s'accompagner de la nomination de Broud au rang d'homme et de la désignation des totems de certains jeunes membres du clan, celle-ci étant accomplie par ailleurs dans le désir de plaire aux esprits. Le temps n'était pas un facteur important, et tout rituel pouvait se prolonger à
plaisir quand les conditions s'y prêtaient. Auraient-ils été épuisés ou en danger, le simple fait d'allumer un feu aurait suffi à consacrer la caverne.
Avec une gravité à la mesure de l'importance de sa t‚che, Grod s'agenouilla, déposa la braise rouge sur un tas de brindilles, puis se mit à souffler dessus. Le clan se pencha en avant dans une attitude anxieuse et de toutes les poitrines s'exhala un soupir de soulagement quand les flammes commencèrent de crépiter et que le bois sec s'embrasa rapidement. Soudain, surgissant de nulle part, un personnage effrayant apparut si près du feu qu'il semblait en être l'émanation. Un cr‚ne blanc surmontait son visage rouge vif qui semblait flotter au milieu du brasier.
Ayla tressaillit à cette apparition, et Iza lui pressa la main pour la rassurer. L'enfant perçut le sourd martèlement des épieux sur le sol tandis que Dorv marquait le rythme sur une grande calebasse en bois. La fillette sursauta de nouveau alors que le plus proche des chasseurs bondissait devant les flammes. C'était Broud, entamant sa danse de la chasse.
Broud s'accroupit, la main en visière pour se protéger d'un soleil imaginaire, bientôt imité par les autres chasseurs qui mimèrent avec lui la chasse au bison. Leur art de la pantomime, affiné par des siècles de langage gestuel, était si parfait qu'ils parvenaient à recréer l'intense émotion de la traque au gros gibier. Les femmes du clan, sensibles aux nuances les plus fines de leurs gestes, se sentaient transportées dans les plaines torrides ; il leur semblait percevoir le tremblement du sol sous le martèlement de milliers de sabots et elles partageaient avec les chasseurs l'exaltation de la mise à mort. C'était là un rare privilège pour elles que d'entrevoir le domaine
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